Prix de la nouvelle de la ville du Mans en 1993, Isabelle Pinçon n’a attendu que l’année suivante pour être, avec son Emmanuelle vit dans les plans (Cheyne éditeur, 1994), la lauréate du prix de poésie Roger Kowalski de la ville de Lyon, puis encore un an pour voir C’est curieux paraître dans la collection de proses inclassables de Cheyne. Bref, du Mans à Lyon jusqu’au plateau Vivarais-Lignon, les publications de cette jeune femme de 36 ans auront su révéler une véritable écriture, toujours en train d’osciller entre ses jeux de miroir et la dimension enfouie, sinon fantasmatique, de la réalité quotidienne. Resserrés sur quelques lignes, les carrés de prose d’Isabelle Pinçon fouillent, dans une légèreté mêlée de douce ironie, les plis retors de notre existence. Si Emmanuelle vit dans les plans approchait davantage la vie transparente d’une jeune femme, ses plans justement intérieurs -« Emmanuelle défroisse le papier bleu pour occuper un morceau d’univers »-, C’est curieux s’ouvre sur ce constat : « Je trouve cela curieux de passer son temps à être un homme ». Le sujet est inversé. Isabelle Pinçon est dans ce livre l’œil extérieur qui donnera à l’homme le contour de ses petites manières, de sa lâcheté, cernera la façon dont il regarde les femmes ou règle ses problèmes en ajoutant du sucre à son café. La réalité devient fuyante, montre ses angles interdits. Isabelle Pinçon la renverse, la défait en prenant appui sur elle. L’absence ou l’inattention d’un homme devient : « L’homme est là et n’est pas là, cela/dépend de la ponctuation et du nombre de/gommes sur la table », ou « Par temps humide l’homme bourre ses/pensées de papier journal. Au début il n’en/mettait que dans ses chaussures ou les man-/ches de son manteau. Mais aujourd’hui il/n’omet aucun recoin de son anatomie ». Isabelle Pinçon, dans la même lignée d’écriture que Sandra Moussampès, Sabine Macher ou Arianne Dreyfus, fait tomber par la netteté fantasque de ses proses la réalité établie au fond de ses poches et, comme si de rien n’était, en montre les axes tordus et ignorés. C’est léger comme il faut, juste et revigorant.
C’est curieux
Isabelle Pinçon
Cheyne éditeur
106 pages, 80 FF
Poésie Une vie dans les plis
novembre 1995 | Le Matricule des Anges n°14
| par
Emmanuel Laugier
Un livre
Une vie dans les plis
Par
Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°14
, novembre 1995.