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Poésie Bonnefoy, la présence claire des choses simples

novembre 1995 | Le Matricule des Anges n°14 | par Emmanuel Laugier

La sortie en poche de La Vérité de parole et des deux derniers recueils de poèmes d’Yves Bonnefoy constitue une plongée dans une oeuvre majeure du XXe siècle.

Ce qui fut sans lumière

La Vérité de parole

Le trajet du poète Yves Bonnefoy, que certains négligent vite en poussant son auteur dans les marges de la consécration, depuis sa reconnaissance et son élection à la chaire de la Fonction poétique au Collège de France en 1981, est exemplaire de rigueur et d’exigence. Cette œuvre, tout aussi bien poétique que critique, a ouvert, des poèmes d’Anti-Platon en 1947 à La Vie errante (1993), en passant par les proses de L’Arrière-pays (1972), une interrogation sur les impostures auxquelles la langue pouvait conduire et sur la façon dont les mots, et la parole qui les investit, pouvaient s’y soustraire, accueillant en eux l’éclat propre de la présence des choses et d’autrui. Et ce projet critique, actif comme jamais dans ce qui conduit le travail poétique, « travail de pointe » disait René Char, vient pourtant de loin, du fond d’une enfance, d’un lieu de naissance, Tours, qui est d’abord la ville de l’enfance du regard.
L’enfant traversera là, par le train, des vallées, verra le vert des feuillages faire de grandes masses compactes. Déjà, c’est comme l’unité des choses qui est vécue, alors que s’y mêle aussi, dans le temps de son surgissement, le rêve d’un arrière-pays, d’une contrée où le temps n’existerait plus.
Mais, déjà, le train est passé, les feuillages bougent dans le vent, le temps est inexorablement là, se marque dans le rêve qui n’était que le désir d’échapper à sa rigueur.
Cette expérience, fondatrice, sur laquelle Bonnefoy reviendra dans les pages de L’Arrière-pays, elle n’est pas un moment particulier de l’enfance d’un homme, mais ce que Bonnefoy lui-même appellerait la première enfance du regard qui se pose sur les choses, et les habite.
Plus tard, ce sera Poitiers et Paris, les études de mathématique et de philosophie, les premières traductions de Shakespeare (que Pierre-Jean Jouve appuiera et qui seront publiées aux éditions du Club du livre, 1957-1960), l’engagement épisodique dans le surréalisme avec la création de la revue La Révolution la nuit, les rencontres d’André Breton, Gilbert Lely, des peintres Victor Brauner et Raoul Ubac.
En 1947, Yves Bonnefoy rompt avec ce mouvement, s’éloigne définitivement du traitement des images que le surréalisme prône. Les désirs du moi, alliés à l’écriture, refusent l’évidence simple des choses. Elles ne sont plus que des images luxuriantes et trompeuses.
C’est précisément cette boucle que fait le langage en se réfugiant dans ses propres miroirs que refuse Yves Bonnefoy, prenant conscience que « le pire qu’on puisse faire est de ne pas reconnaître l’empire du hasard sur la vie », et par conséquence celle du temps sur les mots.
Ce sera là l’effort que ses poèmes voudront faire, celui aussi de l’aventure de la revue L’Éphémère, créée en 1967 en compagnie, entre autres, d’André du Bouchet, Michel Leiris et Jacques Dupin. Ce sera alors, pour Yves Bonnefoy, à partir des années 50, une avancée vers ce qui en nous ne se réduit plus au langage de la mainmise, à de la langue conceptuelle. Et cela depuis Du Mouvement et de l’immobilité de Douve et Dans le Leurre du seuil, aux derniers recueils aussi rassemblés dans la collection de Poche Poésie/Gallimard, en passant par les essais de La Vérité de parole (Folio/essais) qui cherchent à approcher, chez des auteurs comme Baudelaire, Rimbaud, Pierre-Jean Jouve, Gérard de Nerval, Marceline Desbordes-Valmore, Jorge Luis Borges, sans oublier Louis-René des Forêts (Une Écriture de notre temps), la conscience qu’ils ont tous d’un monde hors-langage.
Yves Bonnefoy exige ainsi que les mots se soumettent à l’altérité et la contingence du monde, aux dimensions imprévisibles du hasard. Il s’agit toujours pour lui de dire ce qui échappe dans nos vies, cette « première neige », par exemple, ce flocon qui tombe du ciel et qui disparaît dans une goutte d’eau sitôt posée sur la main, ces êtres autour de nous. L’inconsistance dans laquelle la langue fait tomber les choses qui nous entourent en voulant à tout prix les sertir dans de la signification laissera place à une parole, celle qui tutoie l’autre, l’écoute.
Prononcer ne serait-ce qu’un mot, poser son regard sur une planche recouverte de neige au fond du jardin, fera alors éclater le rêve d’un arrière-pays soustrait à « la réalité rugueuse », selon le mot de Rimbaud. Yves Bonnefoy dira alors, dans Début et fin de la neige : « Et quelque chose accourt du centre même des choses./ Il n’y a plus d’espace entre lui [l’enfant de Là où retombe la flèche] et la moindre chose. ////Seule la montagne là-bas, très bleue, l’aide ici à respirer/dans cette eau de ce qui est, qui remonte ». La tâche de la poésie est de « rompre, en bref, avec le mutisme du texte, (d’)approcher, grâce à des mots dûment vérifiés, et pourtant ordinaires, quotidiens, de la présence d’autrui, (d’)affirmer le simple ». Dans la neige qui vole dans le ciel de Début et fin de la neige, il y a prononcé l’instant d’une vie inscrite dans le temps : c’est l’enfance du regard par quoi les mots ouvrent un sens « à avoir été de cette terre » (Rilke).

Ce qui fut sans
lumière
Yves Bonnefoy

Poésie/Gallimard
170 pages, 31,50 FF
La Vérité de parole
Folio essais
575 pages, 53 FF

Bonnefoy, la présence claire des choses simples Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°14 , novembre 1995.
LMDA PDF n°14
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