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Égarés, oubliés Ange Bastiani ou démon

juin 1996 | Le Matricule des Anges n°16 | par Alfred Eibel

Collabo infréquentable, auteur peu fréquenté, Lepage dit Bastiani multiplia les pseudonymes pour cacher son passé odieux. Homme de plume salué par Guérin et Breton, il lâcha la Littérature pour le polar qui payait mieux. Visions de l’hydre.

Pas facile de parler d’Ange Bastiani, individu pas très net, collabo, homme de la « Carlingue » lié aux sinistres caves du numéro 93 de la rue Lauriston1 où il torturait, au service de l’occupant, avec les braqueurs, faussaires, bordeliers, bookmakers et tueurs à la lame facile qui constituaient la bande Bony-Lafont. Personnage infréquentable, responsable aux Questions juives pour les départements de l’Eure et de l’Eure-et-Loir durant l’Occupation et écrivain par-dessus le marché. Écrivain caméléon prêt à changer de nom, de style, de genre, si les circonstances l’exigeaient.
De son vrai nom Victor Marie Lepage (ou Victor Maurice Le Page), il est né le 2 décembre 1917 (ou 1918) à Toulon disent les uns, à Brest disent les autres. Entre 1948 et 1953, il publie sous le pseudonyme de Maurice Raphaël onze textes dits littéraires. Son premier ouvrage Ainsi soit-il (éditions du Scorpion, 1948) est préfacé par Raymond Guérin dont Patrice Delbourg écrit qu’il « a toujours têté l’existence par le bout galeux » 2. Déjà plane le mystère. « Je ne sais rien de l’auteur, dit Guérin, s’il est jeune ou vieux, ou s’il est homme d’honneur ou méprisable, ni s’il a autre chose à dire… J’ai été saisi, comme rarement, par l’implacable présence de son style ».
André Breton salue chaleureusement Claquemur qui paraît en 1953 aux éditions Arcanes avec des illustrations de Hans Bellmer. Nouvel échec commercial. Maurice Raphaël a trente-six ans, de l’appétit, de l’impatience. Dorénavant Victor Marie Lepage va apparaître sous plusieurs pseudonymes : Ralph Bertis, Ange Gabrielli, Vic Vorlier, Luigi da Costa, publie des pièces de théâtre, une introduction à la peinture de Jean-Marie Bontoux, des romans érotiques, des guides tels que Deux cents bistrots secrets de Paris ou le Bréviaire du crime, une série de recettes pour supprimer son prochain. Et c’est sous le nom d’Ange Bastiani que Victor Marie Lepage fait carrière dans le roman policier. Le succès est immédiat. Mais avant de parler de ce Victor Marie-là, parlons de l’écrivain Maurice Raphaël dont il faut lire Une morte saison, les Yeux de la tête, les chevaux de bois sont ivres3 et les livres qu’Éric Losfeld rééditait en 1969 avec un hommage de Marcel Duhamel4.
On comprend l’intérêt que Breton porte à Une Morte Saison. Il y a comme du surréalisme dans l’air, du néo-réalisme, du spleen baudelairien, des fêtes foraines, de l’amertume. À partir d’un fait divers qui défraya la chronique, Maurice Raphaël raconte l’histoire d’une femme dont l’amant est arrêté pour avoir trucidé des jeunes filles. Elle rencontre un homme qui ressemble à son amant. Une Morte Saison est une déambulation en prose dans le Paris d’après-guerre. On retrouve la ville dans Les Yeux de la tête, cinquante pages où il est question de la guerre d’Espagne, d’un Espagnol revenu aveugle dans la capitale et qui rêve de femmes belles, inaccessibles. L’écriture de Raphaël est saccadée, bondissante. Il se sert de l’argot du temps, du mélodrame et du rêve. Les manèges du 14 Juillet donnent leur titre aux Chevaux de bois sont ivres, une flânerie entre le Gaumont Palace et Pigalle sur des complaintes d’Edith Piaf. Un homme drague une femme : visites aux autos tamponneuses, au spectacle de la femme-homard, voir l’homme-torpille, baguenauder à Belleville, Sébasto, tout un programme populaire. Phrases courtes, sèches, notes en vrac, la brocante du jour.
Sur la trentaine de romans signés Ange Bastiani parus à la Série Noire et aux Presses de la Cité, nous avons lu les plus typiques. Le Pain des jules (1977) raconte l’histoire d’un malfrat quinquagénaire retiré des voitures confronté à un jeune mec qui se prend pour un caïd. On se croirait dans un film de Gilles Grangier avec Paul Frankeur, un Pellegrin jeune, un Yves Deniaud en pétard. Certes Bastiani n’est pas Simonin. En dépit de quelques exagérations exaspérantes dans son premier Série Noire, Arrête ton char, Ben Hur ! (1954) écrit en argot toulousain, les romans d’Ange Bastiani se lisent encore avec intérêt sinon avec amusement. Situé dans le milieu méridional, Polka dans le champ de tir (1955) nous ramène aux jours sombres où malfrats, trafiquants de came, ex-collabos se tirent dans les pattes. Coincée entre deux rivaux, la belle Dany se montrera sous un jour inattendu dans une affaire embrouillée de marché noir, manipulée par une matrone que Bastiani expédie brièvement : « Elle a tout de l’hippopotame grouillant ». A Marseille, les bandits décrits par Bastiani « jactaient ni n’entravaient un seul mot de françousquin ».
Dans un registre différent, Folle à lier (1964) se caractérise par des retournements de situations, des personnages peu recommandables. Trois femmes et un homme sont dans le coup. L’homme espère mettre la main sur la fortune de sa femme en la déclarant folle pour filer le grand amour avec une petite comédienne. Climat malsain, convoitises meurtrières. Dans la foulée de Pas d’orchidées pour Miss Blandish de James Hadley Chase, Ange Bastiani crut bon d’ajouter sa ritournelle en publiant Des Immortelles pour Mademoiselle (1956), voyage périlleux entre Sainte-Maxime et les Issambre. On s’arrête dans un restaurant aux spécialités locales, bouillabaisse, friture du Golfe et rosé du pays. Une jeune fille est retrouvée noyée au fond d’un puits. Les patrons du restaurant sont menacés par deux tueurs dans ce polar démonstratif aux grandes envolées vernaculaires où la drogue fait son bonhomme de chemin pour aboutir dans un pince-fesse clandestin. Les femmes y sont présentées comme des traitesses-femmes plutôt que des maîtresses-femmes, ou les deux à la fois. En 1970 paraît Des Étoiles filantes, un roman sobre, menaçant. Nadine quitte la Samaritaine après y avoir volé une bricole. Elle est rejointe à la sortie par un homme qui se fait passer pour un inspecteur qui se révèle être un souteneur.
Semblable à d’autres auteurs de romans noirs de la grande époque des années 50-60, une décennie qui mériterait une analyse plus approfondie, Ange Bastiani a sans doute trop écrit. Il n’empêche, on retrouve dans ses livres un peu de l’atmosphère d’une France disparue, d’un Paris nostalgique. À la suite d’une longue maladie, Ange Bastiani-Lepage y meurt le 9 novembre 1977.

1Selon Serge Jacquemard (la Bande Bony-Lafont, Fleuve noir, 1992), la bâtisse fut baptisée la Carlingue par le Milieu. De « carre », la cave et la mise au jeu. « Par extension, ce mot sera appliqué à la bande de Lafont, cette bonne adresse qui permet d’être dans le coup, […] de gagner de l’argent. »
2Patrice Delbourg, les Désemparés. 53 portraits d’écrivains, le Castor astral, 1996.
3Ces 3 titres ont été réédités par le Tout sur le tout et le Dilettante entre 1983 et 1992.
4Dans ses mémoires, Losfeld dira comment il apprit par hasard le passé de Bastiani (Endetté comme une mule, Belfond, 1979).

* Dernier ouvrage paru : Mything Jean-Bernard Pouy, Méréal, 1996.

Ange Bastiani ou démon Par Alfred Eibel
Le Matricule des Anges n°16 , juin 1996.