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Poésie Qui veut faire l’ange fait le veau

juin 1996 | Le Matricule des Anges n°16 | par Xavier Person

Après vingt ans d’écriture poétique, Jean-Louis Giovannoni s’attaque au roman. Une étonnante métamorphose. Le lecteur des précédents livres s’interroge.

Journal d’un veau, roman intérieur

Pourquoi un poète écrit-il un roman ? Pourquoi Jean-Louis Giovannoni qui jusqu’alors s’en était tenu à l’aridité d’une écriture poétique, à son ascèse, se livre-t-il dans son Journal d’un veau à une telle débauche de phrases, à une telle jubilation rhétorique ? Est-ce trahison de sa part ou ruse, renoncement ou bien désir d’avancer, d’aller plus loin par le détour de la prose, dans la dépense, dans l’exagération plutôt que dans la réticence à dire ?
Intitulé « roman intérieur », Journal d’un veau déroute, trouble. Qu’un veau en personne en soit le narrateur amuse d’abord. Plein d’égards pour la race bovine et ses états d’âme, on se réjouit d’en pouvoir découvrir les tréfonds. Mais, très vite, on découvre que le veau est un peu plus ou un peu moins qu’un animal. C’est un être de blancheur qui nous parle, presque un ange. Laissé sous le ventre de sa mère, dans la pénombre de l’étable, le veau de lait a pour destin d’arriver dans l’assiette de l’homme au paroxysme de sa blancheur, dans le tendre de son plus jeune âge. De cette fatalité, le veau auquel Jean-Louis Giovannoni donne la parole fait une mission sacrée, un apostolat.
Le journal alterne entre le chant et le prêche. Dans un lyrisme parodique, grandiloquent, passant du sentimental le plus mièvre à l’épique, le veau se livre sans complexes à une exaltation de sa blancheur, de son « innocence laiteuse ». Par elle le monde retrouvera sa beauté, le cœur des hommes sera sauvé. Sa virginité laiteuse est une promesse pour chacun d’entre nous. L’intérieur sombre de nos corps à son contact sera éclairé. La tranche de veau fera comme la caresse d’un ange dans nos ventres. « Je suis celui qui ouvre un jour intérieur, promet la transparence. Qui ne mangera plus de ces chairs lourdes gagnera la blancheur, l’indolore et la paix. »
Dans un perpétuel ressassement de ces obsessions laiteuses, sans la moindre progression narrative, ne jouant que sur la répétition du même, Journal d’un veau se présente comme une sorte de variation rhétorique autour d’un thème. Un exercice de style ? Si le côté héroï-comique peut réjouir le lecteur au début, l’aspect monomaniaque pourra le lasser assez vite. À trop exalter le vierge et le blanc, à trop en répéter les vertus, Jean-Louis Giovannoni risque de ne plus nous donner à lire qu’une blancheur plus grande encore que celle de la page vierge, une lactescence du rien.
Journal d’un veau serait-il donc un livre vain ? Ou bien, comme le rêvait Mallarmé, à la place du néant Jean-Louis Giovannoni est-il parvenu à construire « le château de la pureté » ? La question forcément se pose au lecteur.
Ce journal qui n’en est pas un pourra apparaître comme l’excroissance monstrueuse d’un poème, sa caricature outrée. Un poème extraverti, pourrait-on dire. Une libération du poète ? Son épanouissement ? Qui connaît les livres précédents de Jean-Louis Giovannoni, leur rigueur, leur minimalisme ascétique et cette quête sans cesse relancée dans l’abstrait, ne pourra manquer d’entendre ici comme le rire du poète, sa dérision peut-être.
Dès Garder le mort, son premier recueil publié en 1975 (réédité aux éditions Unes en 1991), ce qui dans le Journal d’un veau paraît possible -enfin accompli, mais sur le mode bouffon-, nous est d’emblée présenté comme l’impossible même : « On ne caresse jamais/ l’intérieur d’un corps ». Écrit face au cadavre, face à la plus radicale incarnation du corps, dans un radical refus de tout lyrisme, ce livre est l’exact envers du Journal : « Il fait noir/ au milieu de la viande ». La nuit du corps est ce qui nous en sépare à jamais.
Dans ses recueils suivants, Jean-Louis Giovannoni ne cesse de revenir sur cet infranchissable. Avec des phrases simples, qu’il agence en courts fragments qui se complètent, se répondent, se prolongent l’un l’autre en une variation toujours approfondie, sans cesse reprise et affinée, il en revient à ce qui toujours l’obsède : « Tout est un intérieur/ et reste à jamais/ cet intérieur ». Comprenant l’ensemble de ses poèmes publiés entre 1974 et 1984, le recueil intitulé Les Choses naissent et se referment aussitôt (Unes, 1985) oscille constamment entre le constat de cette clôture et l’espoir d’une ouverture. Si les choses sont bien refermées sur leur intérieur, un geste semble être possible, qui leur serait une ouverture : « Les pierres/ s’ouvraient à leurs mots ». Comme le dit clairement le titre d’un recueil plus tardif -L’Invention de l’espace (Lettres Vives, 1992)-, pour être le lieu d’une absence de l’objet à lui-même, l’écriture n’en est pas moins la possibilité d’un mouvement, d’une sortie hors de l’enfermement. « Tout mouvement/ est la parole/ de ce qui se tient immobile », peut-on lire dans un autre livre au titre significatif de cette quête d’un espace autre dans les mots, un espace invisible à notre regard borné : Ce Lieu que les pierres regardent (Lettres Vives, 1984).
Après L’Immobile est un geste (poèmes de 1982 à 1989, Unes, 1990), Pas Japonais (Unes, 1991), L’Élection (Didier Devillez Editeur, 1994) inaugurait une autre tonalité dans l’écriture. Après la radicalité des premiers poèmes, leur « verticalité » pourrait-on dire en empruntant ce terme à Roberto Juarroz, Jean-Louis Giovannoni continue son expérience d’écriture dans une manière différente. Un certain humour apparaît désormais, comme une légèreté, mais décalé toujours. Une voix se fait entendre, en écho à celle d’un Michaux peut-être, plus ambiguë, plus confiante sans doute, joueuse, presque joyeuse dans le sombre, et légèrement désabusée : « En fin de compte/ tout cela/ ne sert pas à grand-chose./ Même les plus durs/ sont roses à l’intérieur. »
Parachevant ce mouvement, Journal d’un veau doit-il être lu comme une dérision de soi qui confinerait à l’autocritique ? Ou bien plutôt comme l’essai d’un nouveau registre dans la voix, d’un nouveau rythme dans la parole, pour mieux dire ce qu’il y aurait à dire et qui ne se dira jamais que dans le manque, dans la rupture ?
Une ambiguïté est bien là, à l’œuvre. Laissons-lui toute sa part. Approfondissons-en les effets. Un espace dont on ne prend pas aisément la mesure s’invente dans cette œuvre unique. Lisons donc ce Journal d’un veau comme le roman d’un poète, et de ses poèmes poursuivons la lecture.
Jean-Louis Giovannoni lui-même nous y incite. Dans Chambre intérieure qu’il vient de faire paraître également1, le cheminement poétique se poursuit. Des territoires intérieurs se découvrent, jusqu’alors inexplorés. Comme une histoire personnelle se précise. L’intériorité trouve peut-être enfin son vrai nom : « les mères ne déposent pas/ aucun poids/ chacun son enveloppe ». Le roman commence là.

Journal d’un veau
Deyrolle Editeur
118 pages, 89 FF

1 Chambre intérieure, avec des peintures de Gilbert Pastor
Éditions Unes/P.M, 73 pages, 120 FF

Qui veut faire l’ange fait le veau Par Xavier Person
Le Matricule des Anges n°16 , juin 1996.