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L'Anachronique J’aime pas les écrivains

septembre 1996 | Le Matricule des Anges n°17 | par Éric Holder

Martine avait su mieux que quiconque me convaincre d’aller à ce festival où il y a d’autres auteurs. Dans ce petit milieu, Martine est connue sous le nom de « La Pasionaria » -il lui va bien- et c’est un milieu que je n’aime guère, pour ce qu’en place de l’œuvre, il y est question de droits, de traductions à venir, d’éditeurs qui seraient incompétents, d’attachées de presse (oh, cet air qu’ils ont en disant, j’ai quand même eu « L’Express », ou « Le Nouvel Observateur », ou « Le Monde », comme ces sales types qui se vantent en public d’avoir possédé une femme, et cette dernière continue pourtant de le, de les aimer).
Mais enfin j’avais promis, j’avais accepté.
On les reconnaissait aisément, sur le quai de la gare de cette ville dans le Nord. Ç’aurait pu être d’après photos, c’était bien plus sûrement cette expression en commun d’avoir eu voix au chapitre. D’avoir été aimés, oui, par beaucoup de personnes. On n’est pas beaucoup aimé dans l’existence, on crève de ça plus efficacement que d’autre chose, c’est pareille douleur que la blessure -Eux avaient été épargnés.
D’ailleurs, nous étions déjà l’objet d’attentions, nous étions véhiculés vers nos hôtels respectifs, plus tard, on nous donnerait à boire des vins fins, à manger des plats choisis. On nous filait une liste de rendez-vous, encore une fois, de rendez-vous d’amour. Je la pris en songeant aux romans de Modiano. Tous portent la trace d’un rendez-vous, et on n’y est pas allé. Le héros s’est, entretemps, évaporé.
On m’avait parlé de marais, où il y avait des foulques. Et puis c’était une ville du Nord, dont aucun guide ne dira le faubourg : le lierre qui mangeait une usine désertée, les buddleias poussant entre les plaques descellées du chemin d’accès, les canaux sur lesquels on transportait autrefois des roses -et les bateaux crevés. Vers le soir, je voulus prendre un train de retour. Il n’y en avait plus.
À l’hôtel, j’hésitai longuement : fallait-il, ou non, cacher sous le lit la bouteille vide, parce qu’elle ne provenait pas de l’établissement ? Je décidai de la laisser en évidence, comme on s’affranchit.
Le premier train, m’avait-on renseigné, partait à neuf heures.
J’avais été revoir les foulques et le matin faisait sa tête de tout-est-possible. À côté de moi, sur le quai, sur le banc, étaient venus s’asseoir un vieil homme, un jeune géant qui portait un costume de chasse, un cor coincé sous l’aisselle. Une machine travaillait au long d’une voie. Le vieil homme nous expliqua qu’elle aplanissait le ballast. Puis il montra une cabine depuis laquelle on nous observait, dans la gare. Il savait de quoi il parlait, il était retraité des Chemins de fer. À mesure qu’il détaillait ce qui nous entourait, nous cessions d’être des usagers.
Ce fut au tour du jeune géant de nous donner des rudiments de vénerie. La petite, la grande… les boutons. Les ordres. Les sonneries. Par exemple, disait-il, et, se fichant bien qu’on fût dans la gare, ni une ni deux, il embouchait son cor, on se serait cru au cœur de la forêt. Enfin ils se tournèrent vers moi.
« Vous-même… Dans la vie ? ». Ils étaient présents, attentifs. Ils avaient cette qualité d’écouter tout en n’exigeant rien. Mais que pouvais-je répondre ? Que je tournais autour d’un diamant dur, lequel, sans cesse se dérobant, fait qu’on ne trouve pas les mots ? Que c’est justement pour ça qu’on écrit ? Que j’écrivais ? Oh, bon sang, ne jamais dire à quelqu’un qu’on fait des livres, inventer n’importe quoi…
Soudain, j’eus un geste qui dut les déconcerter. J’avais un journal dans les mains. Je me cachai derrière. Les écrivains arrivaient sur le quai. Ils parlaient haut, ils avaient des valises coûteuses.

Éric Holder

J’aime pas les écrivains Par Éric Holder
Le Matricule des Anges n°17 , septembre 1996.