Plus volontiers gourmet que glouton, le lecteur aime à repousser le moment de la lecture et à muser dans l’architecture du livre qu’il vient de choisir, pour d’abord l’éprouver de manière tactile et profondément sensuelle, puis pour deviner, grâce à des promesses muettes, les richesses qu’il lui dévoilera par la suite -exactement comme on aime à humer le bouquet d’un vin, avant que d’oser le mettre en bouche…
Musardant à son gré, le lecteur s’attardera sans doute à la table des matières dans ce nouveau volume d’Henri Raynal -prosateur inclassable qui fit son entrée sur la scène littéraire à l’aube des années 1970. Une table des matières où il fait bon flâner, généreuse à en devenir enivrante, avec ses titres obscurs aptes à nourrir bien des fantasmes et à dérouter le lecteur : L’Anémone de mer (l’implicite), Élection (ou : Obligée), Ordonnance du brasier : le flamenco, Soif de l’un ; de l’autre faim… Des titres pour le moins roboratifs, posés comme des énigmes à un lecteur soudain pressé de mener son enquête et d’y aller voir de plus près.
Dans le Dehors collige douze fragments -ou textes brefs, ou méditations : on sait la littérature contemporaine peu respectueuse des genres-, rédigés entre 1966 et 1994 (cinq textes seulement sont inédits). Quant à la matière du livre, on pressent dès les premières lignes qu’Henri Raynal veut en découdre avec la femme, avec les étoffes dont elle se couvre ou se pare, conjectures corroborées en fin de volumes dans les quelques notes ajoutées par l’auteur : « Le présent livre prend la suite de Sur toi l’or de la nuit (Le Temps qu’il fait, 1989), ainsi que d’une bonne moitié de L’Œil magique (Le Seuil, 1963), tant en ce qui concerne la féminité que le vêtement, l’étoffe - que les plis. »
« Conjectures », le terme aura peut-être surpris, tant il est difficile de s’y retrouver dans l’écriture de Raynal, avec son bouillonnement lexical et ses dislocations syntaxiques. La lecture aura beau se faire plus lente, certaines phrases n’en demeureront pas moins abstruses : « La finitude ne s’est connue comme telle qu’en découvrant qu’elle était mitoyenne de l’étendue qui si généreusement est ouverte à la nage de la vue en même temps qu’elle s’attache à ce qu’elle inclut, lui faisant obligation de paraître. » Et le lecteur, pourtant requis par les sonorités et le rythme, de s’essouffler parfois devant l’extrême densité du texte.
Une telle complexité n’a rien de gratuit ; c’est que le propos de Raynal ne donne guère dans la facilité, comme l’annonce d’ailleurs d’emblée le titre du volume : Dans le Dehors, c’est-à-dire la manière dont l’étoffe révèle le corps et celle par laquelle le corps donne vie au vêtement. En d’autres termes, « Dehors et dedans, ensemble éprouvés. Distinctement, inséparablement. » Raynal explore donc la fluidité des tissus et félicite les fillettes de perpétuer la féminité en portant jupes et robes…
On pourrait se satisfaire de quelques comparaisons hâtives (Des Esseintes, Dorian Gray) et faire d’Henry Raynal un esthète, exclusivement voué à dire la beauté de ce qu’il nomme les « délicatesses » (le terme est élégant : il a de la distinction). Mais ce serait occulter le poète qui veille derrière le prosateur : « J’ai suffisamment à faire avec ce qui me plaît, avec ce qui, d’emblée, a pour moi une existence poétique, existence sur laquelle j’ai envie d’attirer l’attention des autres (…) ». La complexité de la phrase nuit souvent à la durée de l’échange, mais s’il n’est besoin que de regarder encore plus attentivement les femmes, qui saurait refuser une si noble proposition ?
Didier Garcia
Dans le Dehors
Henri Raynal
Deyrolle
104 pages, 89 FF
Domaine français Etoffes de femmes
septembre 1996 | Le Matricule des Anges n°17
| par
Didier Garcia
Entre Ponge et Blanchot, entre velours et satin, douze textes à lire comme des chants à la gloire du vêtement féminin. Sans fausse coquetterie.
Un livre
Etoffes de femmes
Par
Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°17
, septembre 1996.