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Poésie L’universalité de Tomas Tranströmer

septembre 1996 | Le Matricule des Anges n°17 | par Marc Blanchet

La publication des Oeuvres complètes du poète suédois Tomas Tranströmer répare un manque éditorial et nous permet de découvrir un auteur résolument moderne et original.

Œuvres complètes (1954-1994)

Les éditions du Castor Astral viennent de réaliser une publication conséquente afin de faire connaître au public français le Suédois Tomas Tranströmer. Né à Stockhom en 1931, psychologue de profession, l’homme est présenté dans la quatrième de couverture comme l’un des grands poètes de cette seconde moitié du vingtième siècle. Pourquoi tant de citations de journaux, pourquoi un éloge si flagrant de l’auteur ? C’est parce qu’en France, l’auteur suédois n’a pas connu sufisamment de traductions pour s’imposer au-delà de sa réputation. Jacques Outin s’est donc appliqué à traduire les œuvres poétiques complètes, dans un livre encadré d’un avertissement de Kjell Espmark, d’une préface et d’un avant-propos du traducteur et d’une postface de Renaud Ego. Bref, la totale pour mesurer l’importance internationale d’une « voix » qui a su innover dans l’art de la métaphore.
La postface de Renaud Ego pourrait faire l’objet d’un ouvrage tiré à part. Intitulée Le Parti pris des situations de Tomas Tranströmer, elle fait plus que réfléchir « à terme » sur l’œuvre du poète. Elle constitue un texte de référence sur les images d’une poésie riche dans son appréhension du monde. Pour le poète Renaud Ego, Tranströmer parvient à lire « des hiéroglyphes d’où peu de lumière sourd. Retour en arrière ? Non, saut dans le nouvel inconnu où le siècle a donné à Tranströmer de vivre un monde qui n’est plus ce jardin des espèces disposées, mais un palimpseste raturé dont nous ne déchiffrons que d’infimes fragments. L’espace naturel, dont les mouvements répondaient à des cycles repérables, est désormais encombré, traversé par tous les signes de la modernité industrielle, les villes infinies et les foules innombrables, les gratte-ciel et les ascenseurs qui s’élèvent, les voitures filant sur les autoroutes, les conversations courant le long des fils de téléphone. Des pans entiers de la réalité apparaissent, que la poésie avait jusqu’à présent abordés avec d’infinies réticences, refusant -nostalgie d’un ordre simple- de répondre de cette nouvelle complexité que la science et la technique lui révélaient. »
Voilà, c’est dit. Renaud Ego, avec Tranströmer, enrichit le débat sur les « choix » d’inspiration du poète contemporain, et plus encore : la réalité dans laquelle celui-ci vit et qui devrait s’imposer jusqu’au poème. On mesure dès lors l’importance de cette publication. Les poèmes de Tranströmer ne sont pas spécifiquement politiques ou sociaux : ils montrent que « l’être » est présent dans des formes variables, indéniablement modernes, comme dans cet extrait du poème Trafic : « Le poids lourd et sa remorque rampent dans la brume/ comme la grande ombre d’une larve de libellule/ progressant dans l’eau trouble sur les bas-fonds du lac.// (…) Nous venons, ombres, véhicules, de tous les côtés/ du crépuscule, nous nous suivons/ nous croisons, glissons en un tumulte atténué// sur la plaine là-bas où les usines couvent/ et les bâtiments s’enfoncent de deux millimètres/ par an - le sol les avale lentement ».
Tranströmer atteint une justesse d’observation rare : l’homme est aujourd’hui dans un monde de fer et d’électricité, il vit et voit par fréquences. La mesure a mille noms pour désigner son quotidien, car tout est mesuré : temps, durée, espaces… Pourtant, ces données sont bouleversées par la nature humaine et par une complexité des choses et des instants à son image, le tout dans une sorte d’animalité qui souligne la sauvagerie du monde : « Au virage suivant, l’autocar se détacha de l’ombre froide de la montagne,/ tourna le mufle au soleil et rampa vers le col en hurlant ».
Dans la vitesse des sensations, Tranströmer n’a pas la nostalgie d’une terre harmonieuse telle que peuvent la souhaiter -ou la rêver- de nombreux poètes aujourd’hui. Ce peut être là sa limite. N’ayant pas, à priori, la conscience d’un poète qui aide l’homme à appréhender le monde pour le bâtir autrement, l’auteur suédois reste plus dans le constat, sans le souci de nourrir d’autres points de vue la mémoire du monde. Cette limite n’en est pas une. Tranströmer est trop surprenant, imprévu pour paraître dans l’impasse. Il sait aussi respirer, trouver le temps de survoler la folie des lieux, l’extension folle des villes. Ses « lectures » de peintures, son amour de la musique offrent des espaces de méditation, renchéris par une célébration de la nature qui n’est pas pervertie par l’homme, comme dans Madrigal : « J’ai hérité d’une sombre forêt où je me rends rarement. Mais un jour, les morts et les vivants changeront de place. Alors, la forêt se mettra en marche. Nous ne sommes pas sans espoir. Les plus grands crimes restent inexpliqués, malgré l’action de toutes les polices. Il y a également, quelque part dans notre vie, un immense amour qui reste inexpliqué. J’ai hérité d’une sombre forêt, mais je vais aujourd’hui dans une autre forêt toute baignée de lumière. Tout ce qui vit, chante, remue, rampe et frétille ! C’est le printemps et l’air est enivrant. Je suis diplômé de l’université de l’oubli et j’ai les mains aussi vides qu’une chemise sur une corde de linge. »
L’humour n’est pas absent des poèmes du Suédois. Ce qui déroute le lecteur par sa nouveauté puise aussi bien dans le langage familier que l’incongru et l’ironique. Cette écriture semble parfois faire preuve de facilité. Si elle s’est fortifiée au cours des ans, elle déploie des images qui s’inscrivent avec un manque de cohésion et de force dans l’ensemble du poème. Mais comment être cohérent quand le monde ne l’est pas ? Une telle possibilité ne suffit pas. Le poète est un artiste de la transfiguration qui ne doit pas sacrifier l’effet à la densité du poème. De nombreuses images parasitent certains poèmes, peut-être avec bonheur pour les amoureux d’une telle littérature, mais insuffisamment pour donner plus d’ampleur à la chose évoquée.
Mais là aussi, on se met à douter. Et si ces fractures du texte, ces incidents, ces accents d’humeur, mêlant confidences et descriptions inattendues, n’étaient pas aussi les instruments d’une poétique nouvelle ? Tranströmer est d’ores et déjà accessible. Il nous reste à accepter sa modernité comme la complexité du monde dont nous faisons partie. Le lecteur est donc convié à une œuvre de la plus haute importance, où il devra faire ses choix, en doutant, à raison, de certains passages. Il existe dans ces images un équilibre secret, un équilibre heureux qui témoigne d’une ouverture d’esprit rare devant notre époque, une pensée généreuse où surgissent la mémoire du monde, morts et vivants : « Passe ton silence, on les a enterrés…/ Un nuage glisse sur le disque solaire.// La famine est un grand édifice/ qui se déplace la nuit durant.// Dans la chambre, la barre obscure d’une/ cage d’ascenseur s’ouvre sur les entrailles./ Des fleurs dans le fossé. Fanfares et silence./ Passe ton chemin, on les a enterrés…//L’argenterie survit en immenses essaims/ dans les bas-fonds où l’Atlantique est d’ombre. »

Marc Blanchet

Œuvres complètes (1954-1996)
Tomas Tranströmer

Traduit du suédois
par Jacques Outin
Le Castor Astral
322 pages, 140 FF

L’universalité de Tomas Tranströmer Par Marc Blanchet
Le Matricule des Anges n°17 , septembre 1996.
LMDA PDF n°17
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