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Zoom Le blues du montagnard

décembre 1996 | Le Matricule des Anges n°18 | par Thierry Guichard

Résolument original parce qu’il dresse la singularité de l’être comme une exigence vitale, Daniel Giraud est une figure de la poésie en « circuit parallèle ».

Pour rendre visite à Daniel Giraud dans sa ferme ariégeoise, il faut savoir éviter les chiens qui se jettent sous les roues des voitures, ne pas glisser sur les pommes qui par dizaines jonchent les voies étroites et repérer la boîte aux lettres verte, qui, en bordure d’une forêt, signale le chemin « pas carrossable » conduisant à la vieille masure. C’est le trou du cul du monde, mais pour Daniel Giraud, c’est encore trop civilisé, trop près des routes et des villages, trop bas. L’homme, il est vrai, n’a jamais été aussi heureux, à l’entendre, que durant ces treize années qu’il passa à quelque mille mètres d’altitude, dans les Pyrénées ariégeoises, dans une bicoque sans eau courante ni électricité. Et il se plaît à évoquer les raquettes qu’il devait chausser pour avancer dans la neige. Il y a, chez ce chanteur de blues, une âme d’ermite.
Devant la boîte aux lettres, Daniel Giraud a glissé sous son bras le magazine France Football. L’homme aime taper dans un ballon, ce que ses lecteurs savaient déjà. Dans le numéro de la revue Tanker 7 (Blockhaus éditions), on le voit posant avec l’équipe du bar La Note bleue, avant sa victoire contre celle du bar La Paillasse 5 à 3 à Saint Girons en 1992.
Les Pyrénées, le football, le blues, l’amitié (avec Claude Pélieu, Alain Gibertie, Serge Pey…) et les bars ; ajoutez la poésie et l’anarchisme et vous aurez une bonne idée du genre de personnage qu’est Daniel Giraud, dont le physique lui permettrait de jouer les doublures de Bill Deraime.
Le gaillard a fêté cette année ses cinquante ans. Né à Marseille juste après la guerre, il sera, jusqu’au collège un cancre « fier d’en être un ». Son univers tourne autour du rock et du foot. Il cesse sa scolarité dès la troisième mais, pour entrer plus tard aux beaux-arts, il effectuera une seconde de rattrapage. S’il écrit très tôt des poèmes, il montre aussi son dégoût du monde. Première scène sur l’écran du souvenir : le jeune Daniel, 8 ou 9 ans, demande à sa mère pourquoi elle l’a mis au monde, lui qui n’avait pas envie d’y venir. Propos d’enfant ? Non, aujourd’hui encore, ce qui marque les écrits de Giraud c’est son horreur du monde.
Sa première publication sera pour la revue La Source poétique en 1965. Il sera de la création des revues Le Cri puis Vivre libre et surtout Révolution intérieure (1977).
Beaux-arts et école de cinéma (« qui ne m’a servi à rien ») le conduiront à Paris à 20 ans. Nous sommes en pleine époque Beat’ ; Daniel Giraud fréquente bien sûr le quartier latin et les quais où il joue de la guitare. Mai 68 arrive mais « j’étais plus porté vers la révolte que vers la révolution. Je n’ai aucune croyance. J’aimais bien l’ambiance de fête de 68, mais je n’avais pas envie de manifester avec les masses populaires. J’étais plus souvent au théâtre de l’Odéon qu’à la Sorbonne. » À ce propos, le bluesman se souvient d’une soirée sur la Beat Generation organisée par Jean-Louis Barrault qu’avec quelques amis il va copieusement perturber, envahissant la scène, lâchant des tracts, affolant Madeleine Renaud. Le lendemain de ce jour de février 68, la presse titrera : « Les beatniks prennent l’Odéon ».
Daniel Giraud s’amuse encore à ce souvenir mais fustige dans un même élan les maoïstes d’alors qui défilaient avec les masses populaires (selon le jargon de l’époque) « pendant que Mao massacrait ». Se définissant comme anarchiste individualiste, il préfère évoquer la lecture des livres de poche qu’il pratique avec un appétit glouton. « J’ai découvert Céline grâce au livre de poche. J’ai eu beaucoup de mal à me défaire du style de Céline dont j’ai lu toute l’œuvre. Je n’ai jamais beaucoup aimé le genre romanesque. Les seuls romans qui ne me tombent pas des mains sont ceux qui touchent à l’autobiographie, à l’expérience d’un individu. J’ai dévoré Miller, Kerouac, Cendrars. »
Comme il n’envisage pas de travailler, une fois les pavés de 68 remis en place, il se lance dans un tour du monde en compagnie d’une milliardaire qui lui permet de se consacrer à l’écriture. « Je ne pouvais écrire que lorsqu’il se passait beaucoup de chose et que j’étais tourneboulé. » Son périple lui fait traverser l’Inde, Hong-Kong, le Mexique, les États-Unis. Il se met à écrire Voyage vertical qui verra le jour dix ans plus tard en 1980 aux éditions Mari (après les faillites successives des éditeurs qui voulurent le publier…).
La découverte de la montagne date de 1972 : l’Ariège apparaît aux yeux des hippies comme un des départements les plus agréables à vivre, notamment en raison du faible coût des maisons.
Perché en altitude, Giraud se passionne pour l’alchimie, l’astrologie et la tradition ésotérique des trente dernières années. Il publiera de nombreux textes sur ces sujets. C’est aussi dans la montagne qu’il rencontre, via ses lectures, les ermites chinois dont, immédiatement, il se sent proche. Commence alors une expérience pour le moins étourdissante : Giraud se lance dans la traduction du Tao Te King et du Yi King qui vont l’occuper durant près de quinze ans. Il ne connaît rien au chinois ; pire : il ne retient pas la signification des idéogrammes et c’est donc pas à pas qu’il progresse, mettant au service de ce travail un dictionnaire et sa sensibilité d’ermite. « Le texte original est souvent bafoué par la connaissance de ceux qui traduisent. Certains traducteurs coupent, d’autres en rajoutent. Moi, je n’ai jamais rien su sur cette langue, alors je ne peux prendre aucune liberté. » Il visitera tout de même la Chine durant quatre mois en 1988 et publiera ses traductions du Yi King et du Tao Te King chez Albin Michel en 1989, celle du Hsin Hsin Ming chez Arfuyen en 1992 et une anthologie de poésie chinoise Les Yeux du dragon au Bois d’Orion en 1993. Entre ses lectures et l’écriture, il traverse les forêts, sa guitare à la main pour aller dans les bars donner des concerts de blues.
Depuis quelque temps, la production de Daniel Giraud se fait plus rare, presque lépreuse : minée par le fait d’être redescendu dans la plaine (ce qu’il regrette) mais aussi, probablement, par un désenchantement constant devant le spectacle du monde. Son ami Alain Gibertie, le poète, s’est suicidé cet été, et lorsque Daniel Giraud en parle, c’est avec une gravité et un désarroi profonds. Son travail sur l’alchimie, l’astrologie et la magie n’a qu’un but : « arriver à se réaliser soi-même. Rechercher son espace intérieur ». Cela implique aussi qu’il faut se battre contre l’absorption de l’être par le monde (et Giraud invoque Artaud) même si cela ressemble de plus en plus au combat du pot de fer contre le pot de terre. On lira donc à l’aune de cette quête de soi, Le Fond de l’air et l’âme de fond (Blockhaus - 40, rue Durantin 75018 Paris 22 pages, 30 FF) et le très court (16 pages) Bringuebale en Chine et au Turkestan paru cette année aux éditions Le Givre de l’Éclair (3, rue Pont des Champs 10 000 Troyes) où les souvenirs de l’écrivain s’effilochent dans l’hommage adressé à la Chine.
Peut-être parce qu’il y a trouvé « le chez Soi hors de chez soi ».

Le blues du montagnard Par Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°18 , décembre 1996.
LMDA papier n°18
6,50