Finalement, il se pourrait que le marxisme apparaisse aux historiens de la littérature qui se pencheront sur notre siècle comme l’une des muses les plus fécondes de la littérature contemporaine : des œuvres qu’il a suscitées ou qui l’ont accompagné à celles qui ont tiré leur force de leur opposition au communisme historique, le marxisme aura inspiré une bonne partie des œuvres majeures de la littérature moderne. Questions marxistes de Vázquez Montalbán, traduit en français vingt-deux ans après sa première édition en Espagne, compte sans doute parmi les écrits les plus inclassables que le marxisme ait inspirés.
Impossible à résumer parce qu’il ne raconte rien, Questions marxistes dont seule la présence du personnage de Groucho Marx assure la continuité emprunte son esthétique au music-hall. Il se présente comme une suite de saynètes grotesques dans lesquelles on voit d’abord Groucho sur un plateau de cinéma puis en conversation avec sa vieille institutrice (revenue de l’au-delà pour l’occasion), avec sa mère (dont il est le fils préféré), avec son frère aîné, Karl, etc. Puisque ce texte fonctionne comme une sorte de cabaret, le lecteur sera traité comme un spectateur de cabaret : pendant que Groucho, Harpo et la « jeune fille dorée » font leur numéro, « Groucho se retourne vers vous, cher lecteur, et vous fait un clin d’œil ». Numéro après numéro, Questions marxistes parodie, en un spectacle qui par sa virtuosité suscite rires et applaudissements, les grands moments de l’avant-garde. Ce texte ayant été écrit en 1974, il propose entre autres à son public un numéro sur les excès de Tel Quel qui est l’un des morceux de bravoure du livre.Mais en procédant ainsi Vázquez Montalbán ne jette-t-il pas le bébé avec l’eau du bain ? Si toutes les avant-gardes sont risibles parce qu’elles sont vaines, pourquoi ne pas baisser les bras ? Questions marxistes qui clôt la période subnormale de Montalbán, est, malgré ses éclats de rire et ses paillettes, un spectacle d’adieu : c’est avec ce texte que Vázquez Montalbán quitte la scène des avant-gardes.
Le hasard des traductions fait que Questions marxistes nous arrive un an après La Longue Vie des Marx de Juan Goytisolo (Fayard, 1995), roman qui projetait la famille Marx au vingtième siècle. Dans Questions marxistes, Karl n’est qu’une silhouette qui parcourt le monde et que Groucho croise parfois. Le roman de Goytisolo raconte en quelque sorte le hors-champ de ces Questions marxistes et, sans recourir à Groucho, fait à sa façon de Karl un personnage subnormal sommé d’expliquer pourquoi et comment le communisme historique est né de sa doctrine. Goytisolo serait-il un écrivain subnormal ? Il semblerait que le marxisme ait aussi inspiré, contre toute attente, une littérature comique.
Questions marxistes
Traduit de l’espagnol
par Georges Tyras
Christian Bourgois
194 pages, 120...
Dossier
Manuel Vázquez Montalban
Cabaret marxiste
décembre 1996 | Le Matricule des Anges n°18
| par
Christophe David
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Un livre