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Égarés, oubliés Emile Goudeau ou la vie de bohème

décembre 1996 | Le Matricule des Anges n°18 | par Jean-Didier Wagneur

Périgoudin, « monté » à Paris, il fonda le cercle des Hydropathes au tournant du siècle ; il fut journaliste, nouvelliste, poète et romancier. Il participa à la vie nocturne de Montmartre où ses talents d’animateur de cabt incitaient au scandale.

Il faut fouiller les bouquinistes pour trouver aujourd’hui Fleurs du bitume ou Dix Ans de Bohème car leur auteur, Émile Goudeau a bel et bien disparu de nos librairies. Pourtant il fut un maillon important de la littérature entre Parnasse et Symbolisme. Fondateur du cercle des Hydropathes, puis président des Hirsutes, il contribua à créer le premier Chat Noir avec Rodolphe Salis, c’est-à-dire à inventer Montmartre où une place Émile-Goudeau entretient encore sa mémoire.
Émile Goudeau est né le 29 août 1849 à Périgueux. Son père est marbrier funéraire mais avec un talent certain de sculpteur. Par sa mère il est cousin germain avec Léon Bloy. Après un parcours assez classique alors : bachelier, répétiteur, il « monte » à Paris dans les années 1874. Au lendemain de la guerre de 1870, Goudeau mène la vie de surnuméraire au ministère des finances et, comme beaucoup de poètes et d’écrivains de cette époque, commence à écrire ses œuvres sur du papier à en-tête de la République. Il s’est installé au Quartier Latin où il a retrouvé non seulement des condisciples périgourdins mais rencontré d’autres jeunes gens : ils se nomment Maurice Rollinat, Georges Lorin, Jean Richepin…
Face à la génération précédente, celle de la revue La Renaissance littéraire et artistique d’Émile Blémont, face aux aînés célèbres et admirés, Barbey d’Aurévilly, Verlaine qu’ils peuvent voir au café Voltaire ou au café Tabourey, Goudeau et ses amis sont à la recherche d’un lieu où se faire entendre. La vie de café, telle que Huysmans et Verlaine l’ont décrite n’est pas suffisante, les « jeunes » ont alors le sentiment que le milieu de la littérature leur est fermé. Aussi Goudeau va-t-il imaginer une nouvelle forme de médiation artistique.
Tout en s’occupant de l’impression chez Lemerre de son recueil de poèmes, Fleurs du Bitume, et en travaillant à la jeune revue, La République des lettres de Catulle Mendès, Émile Goudeau hante tous les soirs, les tables de jeu et surtout les cafés, tel le Sherry-Gobbler où il retrouve le cercle de ses amis pour des lectures de poèmes et des chansons improvisées sur un vieux piano de rencontre. La fréquentation de l’étonnant salon de Nina de Villard où il rencontre Charles Cros, Alphonse Allais, Coquelin cadet, amène Goudeau à imaginer un lieu, un club libre et ouvert où tous les jeunes, qu’il soient acteurs, musiciens, poètes puissent présenter leurs œuvres face au public.
C’est ainsi que naît, le 11 octobre 1878 au Café de la Rive-Gauche, boulevard Saint-Michel, le cercle des Hydropathes. Hydropathes ? drôle de nom diront certains. Un nom qui a goût d’eau, et qui va donner lieu à plusieurs interprétations plus fantaisistes les unes que les autres. Dans une atmosphère enfumée, dans un fracas de bocks entrechoqués, les Hydropathes sont une sorte de théâtre de poche, précurseur de nos cafés-théâtres. Sur l’estrade, le président Émile Goudeau avec son terrible accent périgourdin décide de l’ordre de passage des poètes et comédiens. Dans la salle se mêlent étudiants et écrivains dont des célébrités venues en curieux. Il y a aussi la bande des fumistes dirigée par Allais et Sapeck qui est constamment à l’affût d’une bonne « fumisterie » pour mystifier tout le monde, à commencer par les mauvais orateurs. Le succès fut si rapide, que les séances furent vite bihebdomadaires et que le cercle dut émigrer de café en café avant de trouver une salle suffisante pour accueillir plusieurs centaines de personnes. Car à lire les mémorialistes de cette époque heroï-comique, tout le monde a été alors plus ou moins hydropathe !

Le 22 janvier 1879, les Hydropathes créent leur journal. Chaque numéro va s’ouvrir sur la charge d’un des membres éminents du cercle dessinée par Cabriol alias Georges Lorin, prolongée par des portraits en vers et en prose. Goudeau, comme il se doit inaugure cette série. Il sera suivi par André Gill, Félicien Champsaur, Coquelin cadet, Charles Cros, Sarah Bernhardt, l’une des quelques femmes admises dans ce cercle, Maurice Rollinat, Alphonse Allais… Le 23 mai 1880, L’Hydropathe change de titre et devient le Tout-Paris avant de cesser de paraître le 26 juin 1880.
Car au cours du même mois de juin, le cercle des Hydropathes disparaît. Sapeck, Allais, Fragerolles et Vuidet ont tellement chahuté cette séance, en allumant des pétards et des feux de bengale, que Goudeau a décidé de dissoudre les Hydropathes. Est-ce la seule raison ? On peut en douter tant Goudeau avait l’habitude des fumisteries de l’illustre Sapeck. En fait, Goudeau est épuisé et entrera à l’hôpital peu de temps après. Peut-être aussi a-t-il le sentiment que son club s’est peu à peu éloigné de son projet initial en devenant une véritable attraction parisienne. Ne voulant pas se transformer en Buffalo-Bill ou en Barnum de la poésie, Goudeau, lassé par le tour qu’a pris son club, aurait alors décidé d’en finir.
Mais cette histoire n’est pas pour autant terminée. En novembre 1881, a lieu la rencontre historique entre Rodolphe Salis et Émile Goudeau. Et un mois plus tard naît au 84, boulevard Rochechouart, le cabaret du Chat Noir à l’enseigne de « Cabaret Louis XIII, fondé en 1114 par un fumiste ». François Caradec, sans qui nous connaîtrions bien peu de choses sur cette époque, en a écrit l’histoire dans sa superbe biographie d’Alphonse Allais (Belfond) et dans l’édition des œuvres de ce grand écrivain qu’il a procurée chez Bouquins. Goudeau-Salis c’est la rencontre d’un animateur incomparable et d’un habile stratège qui saura tirer du président des Hydropathes l’essentiel de son art et récupérer son public en manque de lieu où se réunir. Mais la verve, naturelle chez Salis qui fut une grande-gueule de Montmartre, n’est pas celle de Goudeau. Il y a du commerçant chez ce fils de limonadier. Goudeau amène un public, pour Salis ce seront vite des clients. À l’imitation des Hydropathes encore, Salis crée le plus célèbre journal de cette période, Le Chat Noir dont la rédaction en chef sera confiée, bien évidemment à Goudeau. Il paraît la première fois le 14 janvier 1882.
C’est au moment où le premier Chat Noir déménage au 12, rue de Laval que Goudeau prend ses distance avec Salis. Il sera remplacé plus tard à la tête du journal par Alphonse Allais qui va donner à cette publication une intonation décisive. Si Goudeau fonde ensuite Le Pierrot avec Adolphe Willette en 1888 et écrit de nombreux romans, sa vie va peu à peu devenir celle d’un écrivain et d’un journaliste fin de siècle. Il meurt le 18 août 1906 et les gazettes lui consacreront des articles nostalgiques sur l’heureux temps des Hydropathes.
Reste à découvrir l’œuvre de Goudeau, ses poèmes parisiens, ses poèmes ironiques -avec Charles Cros il était passé maître dans l’art d’improviser un sonnet. Sa poétique est classique, il n’avait rien d’un « mallarméiste ». Fidèle à Musset qu’il révérait, ses poèmes ont un charme qu’un humour constant, quand bien même il est souvent celui du désespoir, rend toujours plus proche. Si le meilleur n’est pas son œuvre romanesque, en revanche c’est dans ses nouvelles, Les Billets bleus, qu’on retrouve toutes ses qualités d’écrivain-journaliste dont témoignent aussi ses nombreuses chroniques. Émile Goudeau est resté jusqu’au bout un artiste. S’il inventa Montmartre et le cabaret artistique, il refusa le « spectacle » ne voulant jamais renier l’esprit d’une bohème, dont on a dit qu’elle fut la dernière.

*Critique à Libération, il a préparé et annoté avec Michel Golfier une édition de Dix Ans de bohème d’Émile Goudeauà paraître chez Champ Vallon.

Emile Goudeau ou la vie de bohème Par Jean-Didier Wagneur
Le Matricule des Anges n°18 , décembre 1996.