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Essais Le râleur hyperbolique

novembre 1997 | Le Matricule des Anges n°21 | par Thierry Guichard

Le nouveau roman de Philippe Muray est une charge contre le politiquement correct. Un exercice salutaire de mauvaise humeur.

Il est bien gentil, Philippe Muray ! Pas de nouvelles depuis 1991 qui voit la publication de La Gloire de Rubens (Grasset) et celle de L’Empire du Bien (Les Belles Lettres)*, et maintenant, comme pour rattraper le temps perdu, sept cents pages serrées d’un roman plein de bile. Parce que le biographe de Céline n’a rien perdu de sa verve, de son horreur de cette société pleine de bons sens, d’associations caritatives, d’une bonne conscience érigée sur un terreau de corruptions, d’arnaques, d’hypocrisie. Disons-le tout de suite, On ferme aurait pu faire cinq cents pages de moins. C’est ce que l’on pense durant une bonne partie de la lecture. Car, enfin, l’intrigue n’en est pas une : un « nègre », Jean-Sébastien, écrit un roman basé sur la vie de la maison d’édition où il travaille. Il s’attache plus particulièrement à son alter ego, Michel Parneix, dont l’ambition se résume à vouloir conserver dans son existence une compagne officielle, Naïma et une maîtresse échevelée, Bérénice. Exercice périlleux puisque, comme on le sait, les femmes sont des pieuvres. On suit donc l’écriture de ce manuscrit, auquel Jean-Sébastien tente de mettre la dernière main lors de vacances suffocantes en Provence. Là, en compagnie d’Angélique il attend la visite de ceux qui, justement, constituent le générique de son livre : Naïma, Parneix, Bérénice. Donc sept cents pages, pour ça, franchement, c’est beaucoup. D’autant que Philippe Sollers, dans Femmes, avait déjà pas mal brodé sur la capacité qu’ont les femmes à mettre les hommes au monde, contre leur gré.Mais c’est compter sans la folie langagière de Philippe Muray. Le bonhomme ne s’est pas intéressé à Céline pour rien. L’ouverture de son opéra commence par une dérive hallucinée de notre héros, accompagné d’Angélique et de leurs gamines, au milieu des flammes d’un incendie gigantesque qui ravage la campagne, le paysage, le monde, le livre presque. Muray raconte le sinistre à la sauce Bardamu. Les Canadair ressemble aux avions de la Seconde Guerre mondiale. L’exode devant le feu, c’est le début de Guignol’s band. Les villages sont désertés pareils. On comprend dès lors que l’histoire, ce fil à dérouler, n’est qu’un prétexte pour déverser des tonnes de phrases. Des mots qui fusent, éructent, ressassent, volent, courent et le vengent. Le vengent de quoi ? Mais de la réalité bien sûr ! De ce monde où fumer des cigarettes devient un crime, où chacun appose sa bonne conscience sous forme de ruban rouge à la boutonnière, où les affiches proclament : « Pour un monde sans carie ».
Alors Jean-Sébastien Muray lâche les points d’exclamations ; Céline se voit rejoint par Balzac. Les deux monstres, avec Don Juan de Mozart en fond musical, vont guider la plume de notre narrateur dans les méandres de la mémoire et de la création. Malgré les gamines dont il faut s’occuper, malgré l’incendie qui n’en finit pas de tout brûler, malgré une belle infirmière rousse, Jean-Sébastien s’accroche aux pages de son manuscrit pour suivre à la trace le combat entre Michel Parneix et la torride Bérénice : « Il cherchait des aventures sans lendemain, elle voulait des lendemains sans aventures. »
Simple histoire de cul ? Pas vraiment. Pour Muray, on le sent bien, Parneix est un frère. Il ne lutte pas seulement pour échapper à une relation établie, synonyme d’aliénation au convenu, d’allégeance au couple, de renoncement à une vie propre, unique, à soi. Son combat se mène contre le monde entier : contre les bons sentiments mielleux, la littérature engagée, les associations, les régimes, la télévision, les magasines, les journaux, contre « les imbéciles en 4x4 avec pare-chocs anti-bisons », contre tout, contre tous, contre vous, sûrement. Combat perdu d’avance pour ne pas appartenir à son époque. Pour ne pas faire partie de l’humanité.Mais que la mauvaise foi est créatrice ! En se laissant aller à l’aigreur, notre narrateur se laisse aller à son imagination débridée. Il faut voir ce que devient une fête de la musique sous sa plume, quel carnaval, quelle comédie. Muray ne s’embarrasse pas de vouloir convaincre : il dévaste. Et certes, on pourra lui reprocher de donner un peu trop d’eau au moulin de ses détracteurs avec ses ressassements céliniens. Avec surtout des phrases qui donnent à penser que ce monde que rejette son narrateur, il aurait aimé en faire partie. Par exemple, contre le parisianisme branché, des phrases comme « je voyais clairement en transparence sa culotte noire Chantal Thomass taille haute » dévoile plus l’âme de celui qui écrit que l’anatomie de celle dont il parle. Mais justement : il en faut des scories, des lourdeurs, des exagérations vraiment pas croyables pour donner chair à ce torrent verbal. D’un fleuve puissant, on n’admire pas la pureté de l’eau, mais la force avec laquelle il balaie les berges. Et On ferme balaie large.Heureusement (pour ceux qui voudraient se raccrocher à quelques branches) qu’il y a les femmes. Chez Muray, elles ressemblent un peu aux héroïnes de Manara, en plus mûres. L’amour est l’occasion de toutes les inventions, de tous les sadismes. Elles aiment mener les hommes par ce qu’elles contrôlent le mieux. Par la chair, elles cherchent l’ouverture vers les sentiments. L’objectif, bien sûr, c’est procréer. Mais c’est aussi accéder au monde en prouvant qu’elles sont capables de dompter n’importe quel tempérament. C’est se distraire de l’idée que nous sommes mortels. Forcément que cela ne convient pas à un écrivain qui doit se coltiner avec ça au quotidien. Le bras de fer est toutefois inégal entre les hommes et les femmes : elles ont des yeux, un corps, des seins et une vitalité qu’ils n’ont pas.On passera sous silence les caricatures que Muray donne du milieu éditorial et surtout des cocktails qui s’y organisent. Ces scènes sentent trop le Balzac et pas assez la réalité. Au XIXe siècle, on pouvait être flatté de discuter avec telle ou telle figure du monde intellectuel. Aujourd’hui, on préfère les courbes des mannequins auxquels on ne demande pas d’être spirituels. Mais, comme Proust faisait dans La Recherche… le deuil d’une société perdue, Philippe Muray avec On ferme a composé un requiem farcesque. Celui de ceux qui crurent qu’écrire pouvait changer le monde.
* On n’a à peine achevé la lecture de On ferme que Les Belles Lettres proposent le premier tome de Exorcismes spirituels, essai sur lequel il conviendra de revenir…

Philippe MurayOn ferme
Les Belles Lettres710 pages, 155 FF

Le râleur hyperbolique Par Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°21 , novembre 1997.
LMDA PDF n°21
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