Hormis la poésie qu’est-ce qui nous conserverait à la vie ? » C’est autour de cette question majeure que s’articule le recueil de Xavier Bordes Comme un bruit de source. A travers une centaine de poèmes, d’une époustouflante variété stylistique, l’auteur se livre à une réflexion poussée quant à la notion de « conservation » par l’écriture. Il s’avère que celle-ci va bien au delà de la classique postérité quêtée par l’écrivain. Ici, c’est le monde et l’histoire de l’humanité que Bordes semble vouloir cristalliser sous sa plume. Car si la poésie « conserve à la vie », la vie elle-même ne peut se pérenniser que par la poésie.
Par sa démarche, Bordes se rapproche très fortement des poètes qualifiés « fin de siècle ». A leur instar, il est animé par une volonté de regroupement de citations, d’accumulation de référents d’un passé, historique comme littéraire. Or, si ces auteurs du dix-neuvième siècle étaient en leur temps mués par la crainte de l’effondrement de leurs sphères et valeurs, constatant l’ampleur de la décadence, Bordes, lui, y ajoute une note contemporaine. Ainsi, les allusions à une catastrophe nucléaire sont claires, et, millénarisme aidant, l’Apocalypse rôde, inéluctablement.
Aussi, le poète, désireux de laisser des traces de ce monde en pleine déliquescence, présente son ouvrage comme un cycle. De la création du monde aux lendemains de sa chute. Une préface, où résonne la voix prophétique « d’un dieu qui ne se fit pas voir » dans les tréfonds d’une Rome antique bientôt en ruines, donne le ton. Ce « dieu pur,(…) de nom inconnu », Bordes l’assimile à celui de la poésie, plaçant son œuvre « sous sa protection ». Décadentisme, mysticisme et référents apparaissent donc comme des thèmes fondamentaux et récurrents.
Mais le poète a le sens de la nuance, et ne sombre jamais dans le moindre écueil. Le recueil en lui même s’ouvre sur « Deus ! », invocation, interjection lancée avant la curée divine qui guette l’homme, ou tout simplement un poème d’une magnificence musicale
Au fil des pages, émotions, sensations, souvenirs, lieux et époques se mêlent, instantanés mis en album, que des générations futures pourront effeuiller. Ce catalogue pré-mémorial s’achève sur un texte dont le titre parle de lui même : Quand dieu, après l’Apocalypse.
S’adressant dans son recueil aux « Enfants du Chaos », l’auteur multiplie clins d’œil et hommages. Aux mythes et aux poètes. Sappho, Vénus, Rilke, Apollinaire. Le style lui-même se fait mosaïque, constellé de fragments de ce qui fit l’histoire littéraire, mêlant habilement les effluves des romantisme, hermétisme, modernisme et pléiade de formalisme. Du sonnet aux atours les plus destructurés, Bordes manie tous les genres, se gorge de toutes les inspirations. Sans jamais s’en gargariser. Ni grimacer la parodie. Comme bruit de source chante comme une eau vive au « verre brisé comme un éclat de rire ». Un écho magnifique des sources premières de la poésie, qui déferle avec force, mêlé aux flots puissants d’une écriture très personnelle.
Comme un bruit de source
Xavier Bordes
Gallimard
177 pages, 120 FF
Poésie Un creuset pour le siècle
septembre 1998 | Le Matricule des Anges n°24
| par
Nathalie Dalain
Poète, traducteur et essayiste, Xavier Bordes, avec Comme un bruit de source, renoue avec la tradition décadentiste tout en la dépassant.
Un livre
Un creuset pour le siècle
Par
Nathalie Dalain
Le Matricule des Anges n°24
, septembre 1998.