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Poésie La vieille fille et la mort

septembre 1998 | Le Matricule des Anges n°24 | par Marc Blanchet

Deux nouvelles traductions conséquentes permettent enfin de mieux découvrir la poétesse américaine Emily Dickinson.

Une âme en incandescence

Une vieille fille : voilà ce que fut en effet Emily Dickinson, une frustrée de « première » pourrait-on dire, une pauvre femme américaine du dix-neuvième siècle qui s’enferma de sa propre volonté, suite à son éducation et toutes ces amours déçues qui s’ensuivent, et passa son temps à regarder le monde de sa fenêtre. Mais l’histoire d’Emily Dickinson ne s’arrête pas là. Car de sa fenêtre, la jeune vieille fille américaine en ouvre une autre : celle qui est en soi et qui regarde directement sur l’infini. Et s’il n’existait pas il faudrait inventer le mot de paradoxe pour cette poétesse. Toute sa vie, Emily Dickinson va en effet écrire une des poésies les plus rares, les plus mystérieuses de tous les temps. Le lecteur français peut se réjouir maintenant puisque viennent de paraître en même temps -heureux hasard de l’édition- deux traductions de ses œuvres (la seule importante était jusqu’au présent celle de Guy Jean Forgue aux éditions Aubier).
La première chez Corti, réalisée par Claire Malroux concerne les années 1861, 1862 et 1863, période faste pour le jeune auteur. Ce choix chronologique, Claire Malroux l’a décidé pour « restituer le tissu interstitiel de la poésie et une architecture altérée par des éditions successives. » Le titre de cette anthologie résume assez bien cette nature isolée d’un être confronté à l’embarras du corps et aux manifestations de l’infini qui l’entourent : Une âme en incandescence. De son côté, la libraire-éditeur Elisabeth Brunet, basée à Rouen, publie le travail de Patrick Reumaux, qui depuis vingt ans essaie de rendre en français toutes les subtilités de Dickinson, sous le titre Le Paradis est au choix. Le traducteur souligne avec justesse dans sa préface le désir de cette poésie d’être « quelque chose dont on ne peut se passer pour vivre. Et qui aide à mourir ».
L’intérêt de ces publications, au-delà de la lecture, est donc d’offrir au public français enfin deux volumes conséquents d’une grande œuvre dans des approches en effet différentes, qu’on résumera en qualifiant la traduction de Claire Malroux de juste et délicate, respectueuse de la langue heurtée de Dickinson quitte à demander un temps de déchiffrement et de respiration, et celle de Patrick Reumaux plus personnelle, osée et risquée, et donc discutable mais fidèle en ceci qu’elle côtoie avec qualité la liberté d’écriture de l’Américaine. Autre bon point favorable à la découverte : la présentation des ouvrages, de la seule photo disponible de Dickinson en couverture du livre de Corti à l’ornementation rouge et blanche de la Librairie Elisabeth Brunet.
Entrons dans l’œuvre en complétant la biographie : naissance à Amberst en Nouvelle-Angleterre en 1830 dans une famille de puritains qui ne lit que la Bible. Père écrasant (tiens donc !), qui fait qu’à la trentaine passée, Emily ne s’est pas affranchie et choisit de rester dans la propriété familiale pour finalement ne plus sortir de la maison. Elle vit, avec des amours rentrées dans la gorge, de purs fantasmes devant le moindre homme qui peut ressembler à un chevalier. Mais il y a une compagne dans la vie de Dickinson qui l’aide à vivre ou à désespérer avec de l’esprit : la Mort. « Un masque sur les traits-/ Une accélération du souffle-/ Une extase de séparation/ Appelée la « Mort »-// Une angoisse au récépissé/ Quand devenue patiente,/ J’ai su qu’était donnée la permission/ De rejoindre ça » (trad. Reumaux). Cette mort, ce « ça », Emily Dickinson le conjugue chaque jour que le bon Dieu, dont on finit par douter, fait. Elle convoque et tutoie cette mort dans les tons même de la Bible : réjouissances, sermons, exhortations, légendes, vies exemplaires. Toute la nature participe à cette célébration, cette conscience qui sait s’épanouir à l’inverse dans la contemplation du règne végétal ou animal, avec les oiseaux en première ligne : « Entendre chanter le Loriot/ Peut être chose commune-/ Ou bien divine.// L’oiseau n’y est pour rien/ Qui chante de même, seul,/ Ou pour la Foule-/ L’Oreille a son Mode/ Et par ce qu’elle entend/ De Gris, ou de Blond-// Que le chant soit Rune,/ Ou qu’il soit néant/ Dépend du dedans.// « L’Arbre fait la chanson »-/Dirale Sceptique-/ « Pas du tout ! C’est Toi » » (trad. Malroux). Sans cesse Dickinson répond de la sincérité et du bien-fondé de ses visions, divinisant à coups de majuscules (on pense à la langue allemande et à celle de Blake) ce qui se présente à elle. Avec celles-ci, doublées de tirets et autres clins d’œil, cette écriture envahit la page, imposant son rythme autant austère qu’exubérant, et par une tardive postérité dans notre pays révèle une modernité stupéfiante dont tout amateur de Dickinson se fait l’écho. On comprendra alors les différences de traduction que constituent ces deux ouvrages comme dans les derniers vers de As far from pity, as complaint : « Aussi loin du Temps-que l’Histoire-/ Aussi près de toi- Aujourd’hui-/ Que les enfants, de l’écharpe d’Iris-/ Ou les jeux Ambrés du Couchant// De paupières dans le Sépulcre-/ Muette la Danseuse-quand éclosent/ Les Révélations de la Couleur-/ Que flamboient-les Papillons ! » (trad. Malroux), ou bien… « Aussi loin du Temps-que de l’Histoire-/Aussi près de toi-Aujourd’hui-/ Que les enfants, du foulard de l’Arc-en-Ciel-/ Ou les reflets Jaunes du Soleil// Des paupières dans le Sépulcre-/ Le Danseur muet repose-/ Pendant que les Révélations de la Couleur se lèvent-/ Et font flamber-les Papillons ! » (trad. Reumaux). Dans ces images extatiques et en même temps chargées de dérision, toute la poésie de Dickinson est là, comme si l’émerveillement n’était pris en compte que pour mieux être perverti, à moins que le poème, comme une force animale, dégage suffisamment d’énergie pour ne pas en être victime. Ces deux livres se complètent donc avec bonheur et restituent le spectacle d’une imagination si vive qu’il lui fallut l’enfermement pour ne pas s’affaiblir aux épreuves de la vie.

Emily Dickinson
Une âme en incandescence

Traduit et présenté
par Claire Malroux
José Corti
Le Paradis est au choix
Traduit et présenté
par Patrick Reumaux
Librairie Elisabeth Brunet
(70, rue Ganterie 76000 Rouen)
610 et 552 pages, 170 FF chacun

La vieille fille et la mort Par Marc Blanchet
Le Matricule des Anges n°24 , septembre 1998.
LMDA PDF n°24
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