Humilié, mais pas désespéré : ainsi se présente l’ouragan Blaine. Humilié par l’injustice du monde, la confiscation des cultures au nom d’un ordre mondial qu’il accuse d’être à la solde de l’administration américaine. Humilié par la place laissée au poète, le dernier des nègres, ce sorcier nomade et protéiforme, né en 1942 à Rognac près de l’étang de Berre, chamanise près de là en son antre de Ventabren, jongle avec les mythes, l’espace et le temps. Lui qui affirme vouloir retrouver des secrets, mais garder le mystère, a du mal à contenir le monde. Les mots débordent Julien Blaine, envahissent l’espace, se mêlent à des sculptures, copulent avec des poupées Hopis, s’intégrent à des performances vidéos, deviennent expositions, revues, réappropriation d’espaces, avant-garde, révolution mondiale, secousses telluriques, explosions cosmiques… Julien Blaine, un doux rêveur ? Non, un humain pugnace, fraternel, un fondateur de multiples revues dont Dock(s), un ex-adjoint au maire de Marseille qui a redonné les friches industrielles aux marges…
Julien Blaine, vous avez inventé de nombreux hétéronymes. Christian Poitevin, né en 1942, Jules Van (l’artiste du boycott, du sabotage et du vol) né en 1970, Tahar Ben Kempta (traducteur de poèmes persans), Louis Desravines (auteur d’histoires fantastiques), John Jonathan Handgee (auteur de romans policiers), Alias Viart (metteur en scène de fragments de vie). Qui êtes-vous ?
Un poète. Ce qui fait le poète, c’est le pouvoir de changer de vie, de style et d’être ce qu’il doit être. Ne pas se contenter d’être dans les livres, chose importante, mais très résiduelle. Il doit vivre et montrer la vie. En cette fin de millénaire, les gens oublient de vivre. On entre dans des barbaries, des ordres mondiaux. La vie devient secondaire parce qu’on est confronté au malheur, à la terreur. J’ai 56 ans, la peau du poète est celle qui me convient le plus. J’ai laissé toutes les autres comme un serpent au bord de la route. J’essaye simplement de travailler pour ce peuple au futur, pour lui dire : « Ne te laisse pas refaire le coup que nous a déjà fait l’Inquisition catholique qui a tué tout ce qui était différent au nom de la sorcellerie, de péchés mortels édictés par des papes dont le plus célèbre s’appelait évidemment Innocent VIII ! » En cette fin de millénaire, on nous refait le même coup, au nom de l’administration américaine, c’est la même barbarie, la même confiscation des cultures, le même anéantissement de la différence. Alors, qu’on n’oublie pas de vivre !
La poésie pour quoi ?
Il n’y a pas d’inutilité plus essentielle que celle de la poésie. Qu’est-ce que je peux faire pour transformer le monde ? Devenir un grand joueur de football ? Le football, c’est formidable, mais je sais qu’à la fin du match, cette humanité présente n’aura pas changé. Le poète dit : « Je suis inutile, tout ce que je fais est parfaitement inutile, mais écoutez seulement un peu ce que je dis » et c’est ça qui va...
Entretiens Le sorcier de Venabren
janvier 1999 | Le Matricule des Anges n°25
| par
Dominique Aussenac
Les livres -il en propose deux ces temps-ci- ont du mal à contenir Julien Blaine : une carcasse, une voix, une manière d’éructer, d’occuper l’espace, une volonté de changement.
Un auteur