C’est toujours à peu près la même histoire : il suffit qu’un éditeur (crédible) décide de sortir de l’ombre un auteur oublié pour qu’on se rappelle à quel point la littérature sait se montrer ingrate… Romancier et nouvelliste anglais (1879-1970), Edward Morgan Forster n’échappe pas à la règle : comment se peut-il en effet que la postérité ait oublié un tel écrivain, qui connut son heure de gloire en 1925, après avoir obtenu le prix Fémina pour La Route des Indes ? À quoi bon les hiérarchies, les interdits, les habitudes, la notion de bien et de mal semble nous dire Forster du haut des cinq nouvelles de ce recueil, rédigées entre 1930 et 1950 ? Le monde y est constamment tourné en dérision, les perversions s’y trouvent dédouanées, et fustigés les conformismes, comme dans la nouvelle éponyme, où le monarque d’une Pottibakie fantoche rend publique sa sexualité dissolue (triolisme, homosexualité : de quoi ridiculiser les très modestes écarts de Clinton !). Avec un humour pince-sans-rire, que l’on s’empresserait de dire britannique, Forster décrit un monde où rien ne va comme il doit, où tout semble s’être brutalement déréglé : c’est ainsi que des statuettes antiques prennent vie, au milieu de leur musée, et, comme si cela ne suffisait pas -l’auteur affiche un goût prononcé pour l’outrance-, leur nudité se fait soudain obscène (dans ce florilège, la question de la sexualité surgit là où on l’attend le moins). Un monde qui balance entre l’absurde et le fantastique, et où les situations s’avèrent délirantes -même le soleil y va de sa contribution et s’en prend à la Race Dirigeante… Comme l’affirme le narrateur de la dernière nouvelle, écrite à quatre mains, « ces écrivains, on leur laisse toujours tout passer ». Surtout quand ils nous enchantent.
Quelle importance ?
E. M. Forster
Traduit de l’anglais
par Anouk Neuhoff
10/18
179 pages, 38 FF
Poches Pour une vie sans tabous
janvier 1999 | Le Matricule des Anges n°25
| par
Didier Garcia
Un livre
Pour une vie sans tabous
Par
Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°25
, janvier 1999.