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Théâtre L’amour à mort

janvier 2000 | Le Matricule des Anges n°29 | par Maïa Bouteillet

Suicidée il y a près d’un an, la jeune Anglaise Sarah Kane laisse une œuvre hyper violente et s’impose comme un véritable phénomène dramaturgique.

L’amour de Phèdre

Difficile désormais d’ignorer le nom de Sarah Kane. Pas un débat sur l’écriture dramatique contemporaine -ou sur les jeunes auteurs de théâtre- sans que la jeune femme ne soit citée à l’enseigne de la nouvelle dramaturgie anglaise échappée de la fameuse scène du Royal court où l’on découvrit naguère Edward Bond.
Et rien qu’à Paris, cette saison, on compte deux mises en scène de ses pièces. Sa première, Anéantis, sera montée au théâtre national de la Colline par Louis Do de Lencquesaing, en mai ; la dernière,Crave, qui fut créée au festival d’Edimbourg en août 1998, va être mise en scène par Bernard Sobel au théâtre de Gennevilliers en mars. Effet de mode ? Suicidée en février dernier à tout juste 29 ans, en laissant derrière elle quatre pièces si violentes qu’elles mettent à mal les voies habituelles de la représentation, l’écrivain a vite fait légende. D’autres ont suivi -Mark Ravenhill notamment- qui n’avaient pas son talent. Avec le temps le nom de Kane restera. Pour raison littéraire cette fois. Ceux qui aujourd’hui la lisent à ras du fait divers avec les lunettes du réalisme, ceux qui referment ses pièces en décrétant qu’ils ne « peuvent pas », verront peut-être alors derrière ce trop plein, cette déflagration inouïe de carnages, autre chose que l’imagination sanglante d’une enfant de la télé, le cerveau mis en miettes par l’horreur médiatique -à quoi ressemble un peu son Hippolyte dans Phaedra’s Love. En réalité, un écrivain d’une grande sensibilité.
Ce théâtre de chairs maltraitées, de corps torturés est insupportable. Mais pas davantage que ces peintures religieuses du Moyen âge ou de la Renaissance où figurent des saints et saintes martyrs transpercés de flèches, crânes fendus et seins arrachés. La Bible, pour peu qu’on la lise au pied de la lettre, est d’une barbarie inégalée, l’ancien et le nouveau testament tout autant. Il n’y a pas que les titres chez Kane -Blasted (Anéantis), Cleansed (Purifiés), Crave (Manque, littéralement : demander le pardon)- qui suggèrent une lecture mystique. Le paroxysme des scènes -les yeux avalés dans Anéantis ; le bûcher dans L’Amour de Phèdre, etc.- tient du rituel expiatoire. La répulsion comme catharsis.
L’ultra-violence de Kane appelle en définitive exactement l’inverse. Les thèmes du lien, du lien d’amour, du sacrifice, du croire y sont constants. La référence religieuse est omniprésente. On pense évidemment à Sauvé et aux autres pièces d’Edward Bond. De la jeune femme qu’il considèrait comme la meilleure jeune dramaturge aujourd’hui en Angleterre, Bond disait qu’elle devait affronter « l’implacable ». Comme si l’écriture était un moyen de prendre la cruauté en charge, pour soi et pour les autres. Ses pièces en effet ne parlent que d’amour, amour de l’humanité.
« Pour moi tu es morte ». Ainsi commence Manque dont la sonorité du titre en anglaispourrait tenir de l’injonction « Crève ». Écrite à la manière d’un long poème, la dernière pièce de Sarah Kane représente dans sa forme un défi à la mise en scène. Anéantis déjà mettait à mal la représentation. Comment mettre en scène un homme à demi mort de faim qui exhume le corps d’un bébé pour le dévorer ? L’histoire qui démarre sur le ton du polar abandonne vite tout réalisme mais le huis clos et les personnages y sont. L’Amour de Phèdre -la plus drôle de ses pièces mais sûrement la moins bonne- qui mêle mythes grec et chrétien autour des thèmes de la famille et de la dégénérescence du pouvoir présente une structure avec un début un milieu et une fin.
Plus formelle, nettement plus abstraite, Purifiés est néanmoins découpée en scènes et comporte des personnages masculins et féminins identifiés. Déjà on y mourrait pour se relever la réplique d’après, le monde des vivants et le monde des morts se répondaient comme par un système de vases communicants.
Manque se développe comme une danse de mort où ne resteraient des éventuels personnages que des fragments d’un même et dernier espoir nourri de manques : la mort elle-même. Là, ils n’ont plus de noms, simplement C, B, A, M. Aucune distribution n’est indiquée en page de garde. Les phrases se croisent, mais ne se répondent pas nécessairement. On ne sait rien des circonstances de leur rencontre. Ces quatre-là ne se parlent pas. Chacun est isolé. Seul perce leur désir commun de mourir. Par moments, le dialogue coince dans une dialectique absurde. Il n’y a pas de situation, il n’y a plus de dialogue, ne reste qu’un chœur aussi étrange qu’abstrait : « C : Non./ M : Si./ B : Non./ A : Si./ B : Non./ C : Non./A : Si./ un temps/ B : Non./ C : Non./M : Si./ B : Non. C : Non. / A : Si /M : Si. C pousse un cri bref d’une syllabe/ un temps/ C pousse un cri bref d’une syllabe/ B pousse un cri bref d’une syllabe/ M pousse un cri bref d’une syllabe/ B pousse un cri bref d’une syllabe/ A pousse un cri bref d’une syllabe/ M pousse un cri bref d’une syllabe/ C pousse un cri bref d’une syllabe/ un temps ». Le dialogue se réduit à sa plus élémentaire expression, un cri bref d’une syllabe comme un dernier souffle de vie.
Au cœur du texte, un monologue déchire soudain l’amas informe de monosyllabes et l’on comprend que c’est d’amour qu’ils meurent. « mais tenir encore dix petites minutes avant que tu ne me sortes de ta vie et oublier qui je suis et chercher à me rapprocher de toi parce que c’est beau d’apprendre à te connaître et ça mérite bien un effort et m’adresser à toi dans un mauvais allemand et en hébreu c’est encore pire et faire l’amour avec toi à trois heures du matin et peu importe peu importe comment mais communiquer un peu de l’irrésistible immortel invincible inconditionnel intégralement réel pluri émotionnel multispirituel tout-fidèle éternel amour que j’ai pour toi ». D’amour. Le théâtre de Sarah Kane ne parle que de ça.

Sarah Kane
Manque et L’Amour de Phèdre
Traduit de l’anglais par
Evelyne Pieiller et
Séverine Magois
Purifiés
Traduit par Evelyne Pieiller
Anéantis
Traduit par Lucien Marchal
Éditions de l’Arche
140, 80 et100 p., 85, 65 et75 FF

L’amour à mort Par Maïa Bouteillet
Le Matricule des Anges n°29 , janvier 2000.