C’est avec des phrases au rythme saccadé, évoquant les morceaux de jerk que ses personnages choisissent au juke-box de leurs bars de banlieue, que Sorrentino, dans Steelwork, décrit la vie dans un pâté d’immeubles de Brooklyn.
En une série de portraits, Tom, Sprenger et les autres défilent : tous issus de familles immigrées. Ils ont la même vitalité que les Italo-américains des romans de John Fante et comme eux ils s’acharnent à survivre et subissent de plein fouet l’histoire, en l’occurrence la Seconde Guerre mondiale et celle de Corée. En revanche, ils en ont perdu la joyeuse naïveté. C’est déjà une Amérique plus moderne, où frappent « les effets de l’américanisme, se cumulant, rongeant l’âme, et de là s’étendant à tout l’organisme sous la forme des symptômes de l’alcoolisme ou autres désespoirs sociaux ». Les personnages apparaissent monstrueux, comme appartenant à une race à part, un peu comme les freaks du film de Ted Browning, ou les portraits de la photographe Diane Arbus. Tant par leur apparence que par leur violence. Tom l’Irlandais est « effrayant, faisait penser aux monstres. » Il vit dans la cave du gardien de l’immeuble dont il « était le travailleur de force ». Les gamins se retrouvent en clans dans les rues, unis par des rites barbares, issus de « quelque américanisation gauchie de puissance et de sublimité aryennes ». Tous ces personnages ont la beauté noire d’un conte triste et errent toujours plus éloignés de ce qui les constitue fondamentalement. Car chacun d’eux est dévoré par la nostalgie et du désir et de l’enfance.
Steelwork
Gilbert Sorrentino
Traduit de l’américain par
B. Hœpffner et C. Goffaux
Éditions Cent Pages
95 pages, 99 FF
Domaine étranger Déracinés à Brooklyn
janvier 2000 | Le Matricule des Anges n°29
| par
Caroline-Jane Guyon-Williams
Un livre
Déracinés à Brooklyn
Par
Caroline-Jane Guyon-Williams
Le Matricule des Anges n°29
, janvier 2000.