La poésie, d’après la citation tirée de l’Internationale situationniste N°8 (1963) qui ouvre « endquote », métaphoriquement « fin de citation », serait le seul lieu où subsiste l’idée de « la totalité de la révolution ». La phrase frappe un peu comme un slogan, du moins comme une visée, une tâche. Elle assigne un devenir à la poésie, et la pense comme ce qui est bien le lieu d’un devenir révolutionnaire. On peut penser que de telles phrases sont mortes, éculées, sans aucun sens pour la tribu d’aujourd’hui, même poétique. Yves di Manno, poète, traducteur (Pound, Williams, Oppen, Rothenberg) et éditeur de la collection Poésie chez Flammarion, n’a pourtant pas tout à fait tord de rappeler, selon les axes choisis de ses digressions, que la poésie n’a jamais vraiment flotté dans les seules sphères de mécaniques formalistes, que les révolutions formelles, des avant-gardes des années 10 et 20 en Europe à la poésie américaine dite objectiviste en passant par le surréalisme, ont toujours été les conséquences d’une perception de fonds du monde et de la vie : écrire, c’est être face au monde, face au réel, à sa fuite et à ses contradictions. Dans la langue que la poésie s’invente, il aura été question de porter les perceptions les plus aiguisées au jour, crevant d’un coup de lame la surface arbitraire de la réalité. Le programme est vaste, c’est-à-dire qu’il n’en existe aucun, semble dire Yves di Manno, en dehors de l’exigence de l’expérience que chaque poète creuse en lui. L’auteur, sur plus de 260 pages, interroge donc cette façon si singulière que la poésie a de creuser ses expériences, et rappelle bien quelques belles évidences en dénonçant les petits airs du temps. Le tout pour revenir à l’essentiel… En trois parties (Premier temps / Entrevue / Second lieu), le livre commence par témoigner de la singularité d’écritures, celle de Pierre Reverdy, celle du Cose naturali (Éd. Unes, 1992) de Paul-Louis Rossi, Jude Stéfan, Denis Roche (poème d’anecdotes autobiographiques ?) pour s’orienter ensuite vers la poésie américaine : préfaces, commandes d’introductions pour des revues, interventions orales, sont enfin rassemblées pour former un ensemble très cohérent, aux interrogations nouvelles, sur Oppen, Carlos Williams, Pound, Zukofsky, Reznikoff, Rakosi, etc., mais aussi Klebnikov ou Mallarmé. Yves di Manno replace aussi dans le contexte le cas du Pound politique, engage donc le débat à une hauteur de réflexion rare aujourd’hui, tant il semble nécessaire d’être affilié, identifiable, étiqueté. Et les poètes dont parle Yves di Manno, se reconnaissent en ce qu’ils n’ont jamais traîné leur pas dans les ornières. L’Autre Voix, consacré au poète Jerome Rothenberg, est un texte d’approche renversant, à la forme non plus critique, mais comme rêveuse, chamanique… Yves di Manno risque une écriture de reconnaissance plutôt que d’exhaustivité, comme dans les très belles pages consacrées à Eugène Savitzkaya (Un cube blanc), au peintre et poète Cobra Dotremont ou au surréaliste belge Paul Nougé. C’est la force de ce livre que d’allier une écriture personnelle à la clarté des objectifs et des propos. Ceci, pour revenir, comme un classique, à la complexité des poésies, à leur formation, à ce dont il est question au centre aveugle et inouï de leurs expériences.
« endquote », digressions 1989-1999
Yves di Manno
Flammarion
280 pages, 130 FF
Poésie L’entretien infini
janvier 2000 | Le Matricule des Anges n°29
| par
Emmanuel Laugier
Avec "endquote", le poète Yves di Manno publie le troisième volume de ses digressions. Neuf ans de réflexions sur la vie de la poésie.
Un livre
L’entretien infini
Par
Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°29
, janvier 2000.