Quelle forme prend le monde, quel monde prend forme, grâce aux deux roues d’un vélo qu’on saisit dès que l’on a du temps à soi ? De quoi se décharge-t-on et que devient-on sur ces chemins empruntés plus libres et hors du temps ? Par la recension de ces moments, des lieux et êtres rencontrés et fuis, Agnès Dargent donne ses réponses sur le ton de la confidence : d’une pratique assidue, elle tire, aujourd’hui, les courts épisodes d’un texte procurant au lecteur un brin musard le bien-être, cette bouffée d’air autre, qu’elle semble rechercher par le guidon.
Grâce de la langue, sensualité diffuse, on est bien près, au détour des lacets du livre, de saisir « l’exacte volupté du corps et de l’esprit, celle qui abolit le réel et offre cette place dans le monde, d’ordinaire hors d’atteinte, impensable sans l’équilibre infiniment gradué de la fatigue et du plaisir ».
Qu’on se le dise, pour être un écrivain, Agnès Dargent n’en préfère pas moins la coterie du cuissard à celle du salonnard. Il y a là une vraie quête, l’envie de « posséder le monde » pour se retrouver, gagner une place mobile par ses voyages qui aguérissent. Ce, sans répit, jusqu’à rêver, parfois, d’un illusoire retour d’état sauvage. Une volonté d’être, un dépassement de soi qui passe par l’oubli : le difficile oubli de soi -« je serai oublieuse de tout langage, libre de toute pensée, mais je ne suis pas prête »- ; celui, aussi, du quotidien d’un monde souvent sordide -voir les multiples contrepoints qui saisissent crûment la misère sociale, humaine, de la ville dont elle s’échappe.
Ce n’est ni un traité du zen, ni des motocyclettes, mais il y a là matière à s’éblouir, doucement, et voir dorénavant certaines bicyclettes tracer comme de nouvelles lignes de fuite ouvrant le monde à ses rêves.
Échappées
Agnès Dargent
Cheyne Éditeur
150 pages, 100 FF
Domaine français L’échappée belle
juillet 2000 | Le Matricule des Anges n°31
| par
Pierre Hild
Un livre
L’échappée belle
Par
Pierre Hild
Le Matricule des Anges n°31
, juillet 2000.