Si l’on a pu réduire avec dédain l’audience de Burroughs aux malentendus de surface créés par une image de rock-star littéraire -la défonce, la Beat generation, le cut-up et ses épigones musicaux-,le temps rend aujourd’hui à ce dynamiteur littéraire une place dont la marginalité ne masque plus la prépondérance. Fuite hors des structures de la littérature et de la société, interrogation du verbe, récupération des discours dominants pour les faire imploser, laminage de l’esprit de suite et du sérieux compassé : la lecture de certaines écritures contemporaines -notamment en poésie- convoque sa figure.
Composé de notes prises sur plus de trente ans, Mon Éducation donne lui aussi corps à ces pratiques tout en enrichissant d’un patchwork laconique le grand « livre des rêves » qu’est son œuvre. Sorte de cut-up homogène, le texte est constitué pour l’essentiel de rêves et réminiscences agglomérés par quelques considérations, éparses, sur l’onirisme, la conscience, la prémonition : une interrogation de leurs rapports et frontières par un écrivain poreux, décloisonné. On retrouve les lieux et les complices de légende -Tanger, New York, Kerouac, Bowles, Ginsberg…-, sans pouvoir identifier la part du rêve et celle de la réalité, l’autobiographie de Burroughs ne pouvant que dilater le biographique traditionnel.
Ouvrant sur de nouveaux espaces de vie et de texte, rendant cette impression d’une écriture qui aurait « supplanté le moi », Mon Éducation exp(l)ose nettement les vues de Burroughs sur l’expérience humaine, rappelant ce passage d’un texte qu’il consacra à Freud : « La prémonition n’est pas liée à l’état onirique. Pas plus que l’état onirique n’est lié au sommeil. Mon expérience veut que l’état onirique se poursuive sans arrêt, et qu’on peut le reconnaître dans un état de veille ». Irremplaçable.
En complément, lire le subversif et drôle essai Révolution électronique, programme hallucinant pour résister à l’aveuglement de la langue.
William Burroughs
Mon Éducation, un livre des rêves
10/18
Révolution électronique
Éditions Hors commerce
Traduits de l’américain
par Sylvie Durastanti
256 et 57 pages, 47 et 49 FF
Poches Burroughs not dead
juillet 2000 | Le Matricule des Anges n°31
| par
Pierre Hild
Un livre
Burroughs not dead
Par
Pierre Hild
Le Matricule des Anges n°31
, juillet 2000.