En 1968, Richard Brautigan conçoit un livre-objet bien singulier : une boîte livrant huit poèmes imprimés sur autant de sachets de graines, Please plant this book. Pour ce début de siècle, les éditions Les Carnets du Dessert de Lune le republient, bilingue, en feuilles volantes, sous sachet plastique, sans les graines. Intemporelle, mais tombant comme à point nommé, la douce voix du poète revient murmurer un message d’accueil et d’envie renouvelé au monde. « Il est temps de planter des livres, de les faire passer dans le sol, afin que fleurs et légumes puissent croître de ces pages ». Filant la métaphore d’un livre voulu organiquement lié à la terre, ces poèmes, vœux ou prières rêvés, restituent pleinement la « main verte » de Brautigan. Peintures naïves, ces huit petits croquis sont autant de mots jetés vers des vents prénommés espoir, confiance, renaissance, qui s’en vont battre la digue de l’inquiétude d’un monde désastré. Une perle.
« Je prie pour que trente-deux ans après ça fleurs et légumes abreuvent le XXIe siècle de leurs voix racontant qu’ils furent jadis un livre transformé en vie par des mains chaleureuses. » Nous arrivons à l’échéance et si nous sommes plus abreuvés de transgénique que de fleurs et légumes à la parole merveilleuse, il s’en trouve encore, ainsi Lucien Suel, pour tracer un sillon sur des terres que Brautigan aurait sûrement jugées bien familières. Visions d’un jardin ordinaire est une sorte de suite à La Justification de l’abbé Lemire, créateur des jardins ouvriers, paru chez Mihàly. Ainsi, une fois de plus le monde des jardins potagers, une fois de plus la forme du vers justifié -qui, prenant pour base l’identité du nombre de signes typographiques de chaque vers, crée des blocs de textes au fort effet visuel.
Du sujet à la contrainte, c’est tout un espace que l’on tente d’aménager, de saisir dans un ordinaire où le geste et l’objet laborieux reprennent grâce : « Il nourrit la terre. Il détermine la résurrection. Il lutte contre l’entropie. Il enfouit. » Hymnes à la brouette, à la famille des choux -« choux de Bruxelles, choux de Milan, choux quintal d’Alsace et choux cabus »- : par une sorte de macrophotographie du monde des jardins, Suel réussit à louer et magnifier l’ordinaire des jardins, leur rituel, en gardant un sourire qui, tel l’épouvantail, fait fuir le bucolique parasite. « C’est quelquefois un étourneau, petit salaud, quelquefois une grive, pauvre petite, ils se prennent la tête entre les mailles du filet. Les fraises sont impassibles sous le soleil. Leur grain blanc rougit sous la résille, à l’abri des coups de bec. Tout ce qui tombe du ciel n’est pas béni ».
Cette fois-ci, le texte se donne pour miroir de simples et belles photographies de Josiane Suel qui rapprochent encore l’univers secret de ces jardins d’un monde où se pratiquerait une sorte d’art brut, quotidien, nourricier. Deux textes dont la simplicité sait redonner la soif du monde riche de présents et d’avenirs.
Please plant this book
Richard Brautigan
Les Carnets du Dessert de Lune
prix non communiqué
Visions d’un jardin ordinaire
Lucien et Josiane Suel
Les Éditions du marais
46 pages, 59 FF
Poésie Graines de livres
septembre 2000 | Le Matricule des Anges n°32
| par
Pierre Hild
Richard Brautigan et Lucien Suel réenchantent le monde en liant le travail de l’écriture à celui de la terre. Diable ! De belles et brutes envolées.
Des livres
Graines de livres
Par
Pierre Hild
Le Matricule des Anges n°32
, septembre 2000.