Partageant son temps entre Saint-Germain-des-Prés et Saint-Hilaire-du-Maine (Mayenne) où il est né, Jean-Loup Trassard cultive une œuvre discrète et rare. Depuis quarante ans, son territoire d’écriture est celui d’un enracinement, heureux, sensuel et violent. Il s’étend au patois, aux cours d’eau, à la campagne de son canton, mais aussi à celle du Queyras, de l’Aubrac ou même de la Russie, qu’il a parcourue à bicyclette. Toutefois, ne lui dites pas qu’il est paysan, cela l’agace, malgré ses quelques bovins qu’il élève. « Il ne faut pas usurper l’identité de ces gens-là. Moi, j’ai eu une enfance de bourgeois. » Herbier d’odeurs, de bourdonnements, de sensations, de travaux agricoles, c’est à l’ombre des paysages et la terre à hauteur d’épaule que Trassard façonne ses livres. Adepte des textes courts (nouvelles ou récits), l’écrivain fait entrer le lecteur dans des mondes inconnus, et pourtant si proches. Sa perception de ce qui l’entoure, aiguisée par le souvenir, devient dès lors une aventure (un voyage ?), celle du regard et de l’écoute, qui ravive le temps présent. Cet amoureux de la langue (petit-fils de Claudel et de Ponge, disent certains) qui reconnaît, presque gêné, que Gallimard n’a jamais refusé une seule de ses lignes, n’est pas seulement écrivain. Il est aussi photographe et un ardent militant lorsqu’il s’agit de dénoncer le saccage continu de son bocage.
Aujourd’hui, l’écrivain fait paraître deux nouveaux volumes. Le premier, un recueil de photographies Les Derniers Paysans ranime le quotidien de l’agriculture traditionnelle à la lumière des jouets de son enfance. Le second, Dormance est sûrement de tous son livre le plus ambitieux. Trassard réécrit l’histoire de ceux qui ont civilisé sa terre natale, il y a trois mille ans. Ses personnages s’appellent Gaur -le héros du roman- Muh, Souaou, Pek. « J’essaie de faire sentir que leur vie est réelle », écrit Trassard. Dormance est un livre touffu, broussailleux. Au début, avouons-le, on s’y griffe, on s’y perd dans cette « confusion de sommeil et d’arbustes ». Mais par magie, sitôt le rythme de la marche découvert, c’est un monde nouveau qui se révèle, foisonnant, enivrant, celui de la mémoire de l’espèce, mêlée au plus près de la nature, mûrissant lentement par la grâce de l’écriture.
Comment vous est venue cette idée de roman néolithique ?
Le néolithique m’est apparu très tardivement comme étant une période privilégiée pour moi dans la mesure où c’est la naissance de l’agriculture et de l’élevage, le début des premiers tremblements. En fait, l’idée m’est venue il y a une quinzaine d’années, sans trop savoir pourquoi. J’ai noté sur une page l’idée d’écrire un petit roman préhistorique. J’ai laissé mûrir ce projet pendant plus de onze ans en prenant des notes qui étaient inventées et d’autres documentées. Puis un jour d’été, il y a cinq ans, je me suis mis à écrire. Moi, je suis rarement saisi par l’intrigue, davantage par une ambiance.
Y a-t-il des...
Entretiens Rêver en préhistoire
avril 2001 | Le Matricule des Anges n°34
| par
Philippe Savary
Jean-Loup Trassard recrée avec Dormance ces temps lointains où l’homme néolithique s’installa près de sa maison natale. Un roman épineux, éblouissant, comme sorti des vapeurs souterraines.
Un auteur