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Domaine français Comédie africaine

août 2001 | Le Matricule des Anges n°35 | par Thierry Guichard

La Fabrique de cérémonies

Kossi Efoui dresse une fiction face à la fiction qu’est l’Afrique. Une comédie grinçante contre les faux semblants irriguée par une langue singulièrement expressive.
Dramaturge, Kossi Efoui, né en 1962 au Togo, avait fait en 1998 une entrée remarquée du côté des romanciers avec La Polka (Seuil). Premier roman prometteur et inventif qui n’était finalement que le bon augure de celui qui vient de paraître. Avec La Fabrique de cérémonies, Kossi Efoui libère plus encore sa langue pour nous parler d’Edgar Fall, Togolais brinquebalé par l’histoire depuis l’U.R.S.S. où il commença ses études, jusqu’à Paris où il traduit des romans-photos pornographiques. Contacté par le directeur d’un magazine de voyages trash (visitez les quartiers les plus malfamés des pires cités du globe), il retourne dans son pays d’origine en compagnie d’Urbain Mango ancien étudiant comme lui en U.R.S.S. Si l’Union soviétique a changé son cours historique et son appellation, que dire de l’Afrique occidentale dont les pays ne portent même plus de noms, à force d’en changer sans cesse ?
Retourner là-bas, c’est aussi devenir l’étranger sur ses terres natales, c’est renouer avec des bribes de l’histoire familiale où la figure du père se dessine avec les pointillés de l’absence.
Kossi Efoui mêle dans un capharnaüm cauchemardesque le passé et le présent, dans des arrêts sur image surprenants, plans fixes qu’une caméra creuse littéralement. Le voyage se fait au rythme d’incessants ressassements, de perpétuels allers-retours entre hier et aujourd’hui.
La phrase paraît alors plus matérielle que le pays traversé où les enfants jouent avec de vraies armes, où des « hommes-panthères » les tuent en leur mettant le feu, où la mer a envahi la capitale, où la télévision mondialiste propose des reality-shows à base de crimes contre l’humanité. Kossi Efoui a lu Antonio Lobo Antunes auquel il fait référence et Claude Simon aussi : le roman se fait chant polyphonique, alternant accords mineurs et majeurs. Une scène, à ce propos, pourrait être donnée à lire dans toutes les fabriques de littérature : un déjeuner dans une brasserie parisienne durant lequel Urbain Mango explique le projet de voyage à Edgar Fall nous fait entendre les discussions alentour. Celle de trois vieilles dames « ou camarades de lit d’hôpital en sortie hebdomadaire », celle d’un « homme disant quoi, quoi, quoi » à une femme qui répond « Caramba, reste assis, Caramba, je te parle » mais ne parvient pas à maîtriser son chien ; celle d’un ex-secrétaire d’État qui « se souhaite de vivre encore un peu ».
Plus loin, nous sommes dans l’ex-Togo qui pourrait être aussi bien le Rwanda ; Edgar Fall se souvient de l’hymne patriotique qu’il fallait apprendre, enfant, en marchant au pas : « Bénissez le Togo ». Mais l’Histoire est folle et fait valser le nom des pays si bien que «  Bénissez ! et on imaginait soudain la chanson interrompue, les pas suspendus, les longues files d’élèves stupéfaits en colonnes par trois, le pied levé resté dans les airs, la bouche restée ouverte sur la crampe de la première syllabe de noms qui s’effaçaient par le bout de la mèche Bénissez le To, Bénissez la Haut, Bénissez le Da, Bénissez le Ni, (…) les élèves attendant l’annonce d’un nouveau nom de pays, attendant ce signal pour se remettre à écraser rythmiquement les semelles. »
Inventif et jubilatoire, le roman fouille la question de l’identité comme on mettrait au jour un charnier : rien de ce qui porte un nom n’est vraiment tangible. L’identité des peuples, celle des sexes (le voisin parisien d’Edgar est un travesti), la paternité réelle ou supposée, les forces secrètes, la langue même qui devrait servir à traduire Pouchkine mais qui ne traduit que la pornographie : tout glisse à travers la grille du sens. Le monde se dérobe. Et le carnavalesque n’offre plus guère que des visages grimaçants.

Comédie africaine Par Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°35 , août 2001.
LMDA PDF n°35
4,00