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Zoom Le chant des bananes

décembre 2001 | Le Matricule des Anges n°37 | par Xavier Person

Musicien prodigue, loufoque dramaturge, poète peu sérieux, Jacques Rebotier fait tourner la langue sur elle-même, jusqu’à ne plus rien nous en laisser voir que le dos. Une oeuvre hallucinante où tout est renversé.

Le Chant très obscur de la langue (suivi de) Requiem

Les mots glissent, se retournent sur eux-mêmes en palindromes. Les phrases affluent dans une logique dérivante, délirante. Les mots jouent, bifurquent en calembours. Il y a du jeu entre les mots et de sérieux risques d’avalanches. Dans La Vie est courbe, Jacques Rebotier fait parler un homme dans sa baignoire, une fois que les plombs ont pété : « Les paroles sont liquides, les pensées sont flottantes (à l’exception de quelques passages où elles s’organisent par emballement, atteignant un semblant de terre ferme). » Tout est dit. Tout se dit. Tout bascule sans cesse, car la langue est courbe. « Nous savons bien que l’univers est courbe ! », chantent les bananes dans Le Dos de la langue1. Car le théâtre est rond, comme la piste d’un cirque qui en fait ne serait rien d’autre que la tête ronde d’un homme. Car le théâtre rond s’écroule comme roule le mot rond qui vient de rotundus, « galet roulé dans le lit de la langue au point de devenir de ce qu’il est, rond ». Car ce qui nous passe par la tête ne tourne pas toujours très rond.
L’étymologie, pour Jacques Rebotier, est un moyen de regarder la courbe de la langue au microscope, de la retourner sur elle-même car tout tourne et rien au fond n’est très sérieux. Car dans cette rivière que font nos paroles, toutes nos paroles, les mots à force de rouler sur eux-mêmes disent le contraire de ce qu’ils disent : le mot mot, par exemple, ne vient-il pas de mutus, muet ? Alors quoi comprendre ? Comment s’y retrouver dès lors que le sens déborde sans cesse, dans le texte emporté, transporté au gré des sons, devenu musique fluide de nos pensées détournées, révulsées ? Comment ? La réponse est dans la question. La réponse est de questionner toujours, de ne pas vouloir faire le tour des choses avec sa pensée, de ne pas toujours rechercher le sens des causes : « La vie c’est comme quand on comprend rien d’abord on comprend rien ensuite on comprend rien la vie j’y comprends rien l’amour j’y comprends rien » -ce n’est pas citer ici qu’il faudrait, mais chanter, puisque dans le recueil Litaniques2, ce texte est imprimé sous les notes d’une partition, puisque avant ou après d’être un poète loufoque et un dramaturge ubuesque (ou pendant), Jacques Rebotier est musicien. Prolifique. Prolixe. Politique. Polymorphe. Polisson. Polype. Polype ? Non, pas polype.
Compositeur de formation, ses oeuvres musicales, une cinquantaine, jouées par des ensembles comme 2E2M, l’Ensemble Intercontemporain, Ars Nova, etc. ne sont qu’une partie d’un curriculum vitae qui compte au moins une quinzaine de pièces de théâtres, cinq mises en scènes, trois créations radiophoniques, douze événements- performances, de multiples lectures spectacles, de nombreux travaux avec des musiciens, des danseurs, des plasticiens, une bonne vingtaine de livres, de théâtre et de poésie. Bref, Jacques Rebotier n’arrête pas (au Festival d’Avignon, en 1993, il avait dans une performance tenu le pari de parler du coucher au lever du soleil). Toute son oeuvre n’est qu’un même moment, de pure dépense, d’énergie, gaspillage insensé, perte du sens (unique). Pour parler, ça parle : articulation, intonation, accentuation, rythme, débit, accélération, ralentissement, étirement, raccourcis. Débordements. Inondations. Foudre. Tempête. Marée haute. Très très haute. (« Au secours, monsieur Héraclite, nous coulons ! »). Et pendant ce temps : « Les bassans/ Évidemment/ Font les cons » !
Dans Le Désordre des langages3, Jacques Rebotier rapporte une scène qui dit bien de quoi il retourne. Sur une plage, de l’eau jusqu’à mi-cuisses, un groupe d’enfants tente de saisir les derniers varechs pour les entasser en montagnes aussitôt dissoutes. « Comme dit soudain l’un deux : ’’Plus la mer monte, et plus il en y a moins !’’ » L’accumulation confine au désastre. La vérité est nécessairement paradoxale. Don des langues ? On n’entend plus rien si tout le monde parle en même temps. Somme zéro. Le mot rien vient de res qui veut dire quelque chose. Personne veut dire quelqu’un, une personne, avant de vouloir dire personne. Vous suivez ?
Imaginez, nous demande Jacques Rebotier, les mouvements désordonnés qu’au coin d’une rue fait soudain un passant : ses gestes seront illisibles à qui n’ayant pas vu la scène précédente ne voit pas que notre homme cherche à recouvrer un équilibre un instant menacé. De même, dans le rêve ou dans l’art, l’ordre instauré est fugace, aléatoire, s’efforçant de rattraper un tant soit peu l’essentiel désordre du monde, du réel, de nos vies insaisissables, de nos pensées flottantes (qu’est-ce que c’est que penser, s’interroge sans cesse l’auteur, à quoi tu penses, demande-t-il sans cesse à son lecteur interloqué). De sorte que créer, c’est « rater de peu » : « rater de peu le ratage parfait ».
Lorsqu’il écrit la partition de son Requiem, Jacques Rebotier se dit fasciné par l’idée chrétienne selon laquelle, dans un désir de palindrome, la mort serait comme la vie à l’envers. Du point de vue de l’éternité tout est réversible. De même que dans Le Dos de la langue, il nous invite « à entrevoir (par l’ouverture du sexe) ce que pourrait être un monde sans sexe », le poète dramaturge musicien (et plus si affinités) rêve de nous faire entrevoir ce qu’on pourrait voir dans ce grand trou derrière les mots, oui, là, juste là, dans le dos de la langue : « Prendre les mots qui sont dans la pensée. Bien les considérer. Et tout d’un coup on les enlève, en gardant ce qu’il y avait autour. Bien regarder ». Oui, bien regarder. Regardez bien, il n’y a rien à voir. Il y a quoi ?

Jacques Rebotier
La Vie est courbe
Les Solitaires intempestifs
76 pages, 7,62 (50 FF)
Le Chant très obscur
de la langue

suivi de Requiem
Éditions Virgile
non paginé, 10 (65,60 FF)

1L’arbalète/Gallimard, 2001
2L’arbalète/Gallimard, 2000
3Les Solitaires intempestifs, 1999

Le chant des bananes Par Xavier Person
Le Matricule des Anges n°37 , décembre 2001.
LMDA PDF n°37
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