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L'Anachronique La grâce de Jean Rolin

mars 2002 | Le Matricule des Anges n°38 | par Éric Holder

On voudra bien pardonner une précaution locutoire. Elle fait suite à d’autres, dans ces mêmes pages, lorsqu’il s’est agi, l’air de ne pas y toucher, d’effleurer comme en passant des ouvrages. Impossible de ne pas les évoquer (ils sont sur la route de vivre). Tout au moins pouvait-on les déplacer sur le bas-côté. On ne voudrait ni gêner ni empiéter sur la terre de ceux dont c’est le métier, la légitimité, et le talent, d’écrire à propos des livres. Mais si l’on continue de filer la métaphore du chemin -qui seul, au fond, nous importe-, voilà que le plus récent ouvrage de Jean Rolin, La Clôture, s’est mis en travers. Rien de champêtre, quoique… On songeait un temps au « Calme bloc ici-bas chu d’un désastre obscur » (Mallarmé) qui aurait mieux convenu à son côté Périphérique, porte de la Chapelle, rails de sécurité, tours, ouais, un bon gros morceau de parapet jeté en travers de la voie -et en provenance de quelles blessures ? Il semble qu’il faille en revenir plus sagement au poteau indicateur, cimenté profond, en majesté si possible. Quant aux compagnons de pages, on tâchera de ne mordre sur eux qu’en ceci : c’est publié chez P.O.L.
Dans « poteau indicateur », il y a « poteau », et « indicateur ». Pour le premier, mon argot date un peu, mais je ne connais pas Jean Rolin. Nous ne nous sommes rencontrés qu’une fois, en radio, ça compte pour une demie, c’était du temps que Vrigny vivait encore -il faut penser à Roger Vrigny, il faut y penser avec beaucoup de tendresse-, et Rolin est tel qu’on l’imagine, net, épuré, droit, attentif. On l’entendait vibrer en silence sur son fauteuil. Peut-être regrettait-il de parler ? De façon plus probable, il était mal à son aise -et, partant, à l’identique. Le second terme (« indicateur ») n’est certainement pas de police, et c’est aussi malgré lui que Jean Rolin nous renseigne sur l’état de la littérature. Or, ce serait un écrivain pour écrivains ? Non. Depuis combien de siècles fréquentons-nous la parole ? Et sur combien de livres sommes-nous juchés ? C’est qu’on ne nous la fait plus.
Nous voulons toucher de l’homme. Nous savons que nous sommes les autres. Il y a un problème : nous manquons de franchise, de courage et de culture pour les approcher. La littérature, la poésie restent parmi les raccourcis les plus sûrs -par pitié, cependant, que des faussaires cessent de nous faire perdre notre temps, qui est si précieux. Nous voulons, selon le terme fameux, de l’authentique. Quelle magie s’il jaillit de la fiction ! Ce n’est pas le cas ici, où l’auteur se passe de manipulations. Voici les dates, les lieux, les faits, voici même ce que nous n’osions plus espérer : parce que Rolin est un voyageur, il laisse d’anciens périples derrière lui ; nous avons eu les nôtres. Nous pouvons à présent nous rencontrer. Cela suppose que nous sachions, et que nous soyions libres.
Ce n’est pas un mince cadeau, que de ne pas être pris pour des cons, et qu’on veuille bien considérer que nous sommes, nous aussi, des affranchis. C’est le premier : viennent ensuite les phrases tenues, les mots au plus près. Rien qui sonne faux sous la lime, puisque la sincérité, posée dès l’abord, se travaille à l’exigence. Viennent les mains ouvertes : beaucoup auront droit au ticket d’accès, seule la crapule (inversée, c’est-à-dire bourgeoise ou facho) restera en rade. Vient enfin la confidence. C’est ce que nous appellerions la grâce. De la même manière que Rolin a cartographié le paysage, fait le ménage et remis l’homme au milieu -scènes de batailles napoléoniennes ou panoramique du boulevard Ney, c’est pareil-, il va diriger le stylo sur lui, au plus juste à nouveau. C’est très fair-play, et nous sommes seuls autorisés à juger du résultat. Profitons-en : de l’humour, et une nonchalance qui parvient à se faire sourire elle-même. Au vrai, nous avions déjà vu cela, mais en germe, chez d’autres « écrivains voyageurs »- particulièrement Nigel Barley, le Réda des Recommandations…, Jean-Luc Coatalem (cependant, on ne sait sur quel pied exactement danser avec lui). Jamais à ce point, nous semble-t-il.
C’est là, tout à coup, quand Rolin s’avance sous le projecteur, dans cet espace entre sa main et le monde, que nous touchons au coeur dense. Il faut en chercher l’exemple le plus ramassé P. 112, dans « ses épaves de bagnoles cramées ou désossées et ses restes épars de vies brisées (je pèse mes mots), sacs de couchage pourris… » Restes épars de vies brisées (je pèse mes mots). Outre que nous sommes au beau milieu de ce « je » et des vies, surgit la leçon de style. Il y a un peu plus d’un siècle que nous avons cessé d’entendre la résonance des « restes épars de vies brisées » -il n’y a plus eu que les faussaires, ou de vrais touristes pour en jouer. Seulement, seulement, dans la quête du mot pesé, on n’en sort pas, on doit en passer par là. Ce qu’il faut de courage, encore une fois, à l’auteur pour intervenir là-dedans, pour insister contre son évidente volonté de ne pas insister, pour dire, Eh bien oui : « restes épars de vies brisées », et je serai là, à chaque fois, pour appuyer dessus, jusqu’à ce que ne subsiste plus le moindre mal entendu.
Il suffit. Nous avons avancé que Rolin n’était pas un écrivain pour écrivains. N’empêche : on en prendra de la graine.

La grâce de Jean Rolin Par Éric Holder
Le Matricule des Anges n°38 , mars 2002.