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Vie littéraire Nocturne d’oc

mars 2002 | Le Matricule des Anges n°38

Du Limousin à la Gascogne, la langue occitane brave son rapport au monde dans un chant charnel et crépusculaire. L’actualité éditoriale n’a jamais été aussi féconde.

Si la Bretagne, le Pays basque ou la Corse ont de tout temps mis en avant l’oralité à travers le chant, les polyphonies, la musique, l’Occitanie (grosso modo, la moitié du territoire français, au-dessous de la Loire) a toujours développé une littérature riche, variée, vivante. Littérature en archipel, selon l’expression de l’écrivain et universitaire Philippe Gardy, où la poésie (que certains qualifient de crépusculaire depuis les troubadours) occupe la part la plus conséquente, mais où roman, théâtre, nouvelles et contes constituent des genres non négligeables. Le provençal Frédéric Mistral obtint le prix Nobel de littérature en 1904.
Les ouvrages qui suivent (deux sont signés des plumes majeures de la littérature occitane contemporaine : Marcelle Delpastre, Bernard Manciet) proviennent de trois des principales régions occitanes, le Limousin, le Périgord, la Gascogne. Le Limousin a toujours constitué une terre de prédilection pour l’écriture. C’est dans l’abbaye Saint Martial que l’on a découvert les premiers écrits troubadouresques (début XIe siècle). À cet égard, la revue Lo Leberaubre et les éditions dau Chamin de Sent Jaume y font un excellent travail (collectage de contes, de données ethnographiques mais aussi publication d’ouvrages contemporains) sous la houlette de Jan dau Melhau, écrivain-éditeur touche-à-tout dont l’ouvrage À l’ombre du silence1, un recueil d’aphorismes, a l’insigne objectif de ne parler de rien, écrème la vanité d’être au monde. Mordant, cru, grave et beau : « Plus il croît, moins il croit. » Bernat Combi, lui, essaye de nous persuader avec ses Chants de gobe lune2 que les chants désespérés sont les chants les plus beaux en inoculant à ses tranches de nuit, modernité (du langage) et surtout dérision. Mais le rire et le Cosmos sont plus grands que le désespoir et ses textes décidément somptueux. « Elle trône là à parler à l’oreille des morts/ ses joues qui sentent frais la lotion après rasage du cousin de Paris./ Verge d’âne ! Elle m’aime !/ Le temps est beau. Il est midi. J’ai passé avant-hier. »
Avec Le Testament de l’eau douce3, roman en prose poétique écrit en 1957, alors qu’elle avait trente ans, Marcelle Delpastre (1925-1998, cf. MdA No34) lance un immense cri d’amour tout baigné de trouble et d’ambiguïté sexuelle. Splendide cri dont l’auteur(e) (elle a toujours écrit au masculin) sait qu’il ne recevra jamais d’écho. Troublant de trouver autant de puissance, d’énergie désirante et charnelle chez cet écrivain singulier à jamais célibataire. « Mais glorifier d’une âpre voix de femme dans la merveille de ses seins et de ses cuisses, et de sa vraie odeur, terre en fleurs à ma bouche pressée… » Bernat Lesfargas offre avec La Braise et les flammes4, quarante ans d’une oeuvre poétique dans laquelle il chante son Périgord natal, le fleuve Dordogne, sa langue en leur donnant une dimension universelle. De classique, au fil des pages, son écriture devient plus personnelle, coléreuse, plus vivante aussi. « J’ai besoin d’entendre japper les chiens dans la nuit/ les vieux chiens enragés dans les métairies froides. »
Enfin de Gascogne, pays où la littérature occitane connut un très bel âge d’or baroque, nous est proposée la rencontre, grâce à Poïésiques5, de deux jongleurs cosmiques de mots et de sons, l’écrivain Bernard Manciet et le musicien Bernard Lubat, un recueil de poèmes du premier, et leur lecture sur des improvisations du second en deux CD. Sublime nocturne gascon, sacré et déglingué.

1°) Edicions dau Chamin de Sent Jaume
(140 pages, 14 )
2°) Edicions dau Chamin de Sent Jaume
(194 pages, 15,24 )
3°) Fédérop (198 pages, 18 )
4°) Jorn (230 pages, 22,87 )
5°) Labeluz (71 pages + 2 CD, 30,49 )

Nocturne d’oc
Le Matricule des Anges n°38 , mars 2002.