Y aurait-il un phénomène Fabrice Melquiot ? Ce jeune auteur fait une entrée fulgurante et foisonnante en théâtre. À croire que ses tiroirs regorgent de textes qui n’attendaient que d’être publiés. Ses premières pièces pour enfants paraissent en 1988 à l’École des loisirs et sont diffusées sur France Culture. Il reçoit le Grand Prix Paul Gilson de la Communauté des radios publiques de langue française et à Bratislava (Slovaquie) le Prix européen de la meilleure oeuvre radiophonique pour adolescents. L’Arche publie l’Inattendu, (voir MdA No36) en mars 2001. Puis Percolateur blues et La Semeuse. L’Arche a même créé une section théâtre jeunesse pour éditer Perlino Comment. Enfin, deux nouvelles pièces devraient paraître rapidement : Kids, du théâtre pour musique imaginaire et Des anges dans les cheveux du Diable. Cinq pièces chez L’Arche, en à peine un an. L’écrivain est prolixe. Son style très particulier est bien affirmé, et en même temps l’évolution de son parcours d’écriture est déjà sensible. Comme si ce jeune écrivain de 30 ans, né en 1972 à Modane, en Savoie, venait déjà de terminer un premier cycle de pièces de jeunesse.
Le style de Fabrice Melquiot dégage tout d’abord beaucoup d’énergie vitale et de fraîcheur. Il conserve une profonde vibration avec le monde de l’enfance. C’est tellement atypique aujourd’hui que ça paraît culotté ou naïf. Ainsi dans Perlino Comment (une pièce jeunesse), Perlino tombe malade et perd la mémoire. Pour se guérir, il cherche à reconvoquer des « émotions pures » : « On ne vit bien qu’avec elles, avec leur souvenir au moins. Le souvenir des émotions pures de quand on est petit. Sinon être grand est une chose trop dure, c’est de l’escalade et on tombe, on se brise les jambes. »
Dans La Semeuse et Percolateur blues, cette problématique-là est sous-jacente. Mais les personnages sont avant tout confrontés à une quête amoureuse et à sa perte. Ils partent alors dans des voyages qui résonnent comme des parcours initiatiques.
La Semeuse « sème » les mots de son amant qui vient de la quitter dans différents bars du sud de l’Europe, à Modane, Turin ou Lisbonne. Des poèmes comme autant de pierres blanches sur la route de la perte amoureuse. Avec au bout du voyage de nouvelles forces de combat, de vie.
La poésie et la musique sont proches de l’écriture de Melquiot. Il invente des associations de sons et donne à entendre et à voir des images de voyageur aux aguets. Dans Percolateur blues Cyril parle des taxis comme « des crocodiles à fleur de bitume » lorsqu’il « travelling en douce sur des vitrines oubliables ». Cyril est hanté par « Toi », une femme rencontrée trois ans plus tôt. Ces fantômes invisibles auxquels les personnages n’arrêtent pas de s’adresser en silence, sont très présents chez l’écrivain. Cyril part en Italie, terre apparemment mythique, sur les traces de son amour. À la poursuite de ses illusions, il va vivre des histoires d’incendie et de mort. Le temps paraît disloqué comme dans un rêve, une peinture surréaliste ou un cauchemar. Une scène d’amour avec la gardienne de l’Opéra, Elena Grandi, qui va mourir d’extase, devient une vision de déluge. Ces épreuves surmontées, Cyril va laisser venir sa petite capitulation, continuer à vivre sans ce besoin d’utopie extrême.
Les pièces à paraître semblent plus en rage avec le monde. Il y a toujours des personnages fous amoureux, dépeints sans aucune mièvrerie. Mais Kids comme Des anges dans les cheveux du Diable se déroulent pendant la guerre en Yougoslavie. Fabrice Melquiot connaît Sarajevo. Les personnages de Kids sont des enfants orphelins, ceux Des anges… une famille où sont mêlés musulmans, serbe, déserteur et militaristes. Les fleurs deviennent rouge sang, la parution est proche, une occasion d’en reparler…
Fabrice Melquiot
Percolateur blues
La Semeuse
L’Arche
92 pages,10 € (65,60 FF)
Perlino Comment
L’Arche
108 pages, 10 € (65,60 FF)
Théâtre Le semeur de mots
mars 2002 | Le Matricule des Anges n°38
| par
Laurence Cazaux
Fabrice Melquiot, 30 ans, écrit des pièces-ipomées, comme ces belles plantes volubiles des régions chaudes du globe. Voyage aux pays de l’utopie amoureuse.
Des livres
Le semeur de mots
Par
Laurence Cazaux
Le Matricule des Anges n°38
, mars 2002.