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Poésie La langue brisée

mars 2002 | Le Matricule des Anges n°38 | par Nycéphore Burladon

L’essentiel des oeuvres du poète expressionniste allemand August Stramm est enfin accessible. Une voix pionnière, fulgurante, en perpétuelle fusion, adressant "des balbutiements à l’univers".

Théâtre et correspondance

On doit à l’inépuisable ardeur des traducteurs Huguette et René Radrizanni et aux éditions Comp’Act d’avoir comblé une importante lacune éditoriale française en faisant paraître deux volumes qui rassemblent la quasi-totalité des oeuvres du poète et dramaturge allemand August Stramm, né en 1874 à Münster (Westphalie) et tombé sur le front russe, à Horodec, le 1er septembre 1915. Pour s’être élaborée sur une très courte période, essentiellement de 1912 à 1915, dans une sorte de rage subite, de possession, ainsi que le rapporte sa fille dans un livre de souvenirs (« La poésie s’était soudain emparée de mon père, comme une maladie (…). Un démon s’était éveillé en lui. »), son oeuvre n’en demeure pas moins incontournable pour qui s’intéresse à la poésie de langue allemande mais aussi, et bien plus largement, à la modernité littéraire.
Constituée pour l’essentiel de huit pièces courtes, trois recueils, deux longs poèmes, deux proses, elle se caractérise au premier abord par une étonnante amplitude de styles. Sa composante théâtrale s’origine dans le naturalisme (Rudimentaire), traverse le symbolisme (Sancta Susanna, La Fiancée des landes), et s’achemine résolument vers l’abstraction (Forces, Éveil et Destinée), vers une sorte de pur événement scénique, de parabole (Destinée). Au fil de ces pièces, le langage se densifie de façon radicale et presque irrationnelle, anticipant ainsi directement les expérimentations menées quelques années plus tard par Lothar Schreyer ou Oskar Schlemmer dans le cadre du Bauhaus. Les formes prises par les poèmes de Stramm sont elles aussi très diverses. Elles s’étendent du poème bref, ramassé sur quelques vers (« Fatigue couve/ Torpeur somnole/ Prière pèse/ Soleil blesse/ Cajole/ Toi » Soir), à de longues compositions cycliques (Danse, L’Humanité). Son oeuvre poétique constitue, par son incessante entreprise de « rabotage et de creusement de la langue » (Alfred Döblin), par son attention « racinaire » aux mots de l’allemand, par sa constante interrogation de l’essence même du langage, par ses puissantes et innombrables hardiesses syntaxiques, lexicales, rythmiques, sa quête obsédante des synesthésies, l’un des sommets de la poésie expressionniste. Elle peut prendre place en toute légitimité aux côtés de celles de Heym, Benn, ou Trakl.
Les recherches de « l’administrateur des postes Stramm », ainsi que se plaisaient à le nommer ses détracteurs, laissant entendre par l’allusion à son travail civil que la nature de son style elliptique devait davantage aux techniques de transmission télégraphique qu’à l’oscultation du langage et de ses possibilités expressives, visaient à l’invention d’un langage dans lequel s’accomplirait l’utopie d’une saisie immédiate du réel, un langage dans lequel se concrétiserait l’adéquation totale du sujet à l’objet. Soumis à cet impératif de faire être la sensation singulière dans le mot par tous les moyens possibles (réduction des mots aux racines expressives, agglutination de ces racines, néologismes, agrammaticalités…), le langage se trouve nécessairement propulsé en dehors de son propre cadre de signifiance traditionnelle : il devient l’espace d’accomplissement d’un acte de communion cosmique, de l’arrachement de la création au néant originel. Il s’agit ainsi pour Stramm de réinventer totalement le rapport du moi aux mots et aux choses en inscrivant au centre de l’entreprise d’écrire un impératif « sensualiste » de tension musicale, c’est-à-dire de sonorité et de rythme. Mais cette entreprise, qui peut, sur un plan formel, donner l’impression de recouper ici ou là celle des futuristes, ne trouva d’oreilles attentives que dans le cours de la dernière année de la vie de Stramm, une fois scellée, à la toute fin du mois de mars 1914, une forte amitié avec Herwarth Walden et la revue Der Sturm.
Depuis la création de sa revue (1910), Walden s’était davantage intéressé aux avant-gardes artistiques (Die Brücke, Kokoschka, Der Blaue Reiter, les cubistes, les futuristes…) qu’à la littérature, et il se contentait en la matière de prolonger la poétique d’Arno Holz (dont l’oeuvre majeure et monumentale, Phantasus, vient également d’être publiée partiellement chez Comp’Act). Il vit cependant immédiatement dans les recherches de Stramm le désir de remettre profondément en question la rationalité comme mode privilégié de la connaissance du monde et de l’expérience esthétique, et d’atteindre à une pure expressivité. Walden fut frappé de la convergence de cette recherche de l’absolu avec le projet élaboré par de nombreux peintres qu’il exposait et défendait à cette époque, et tout particulièrement Kandinsky. La rencontre faite, tout s’enchaîna très vite. Stramm devint en l’espace de quelques semaines le « poète maison » du Sturm qui publia la quasi-totalité de son oeuvre entre avril 1914 et octobre 1916 (en revue, puis en volumes). Mais une balle perdue dans un marécage ukrainien devait mettre un terme à cette aventure… pour laisser place à une autre.
Car l’oeuvre de Stramm, qui s’était construite sans l’accompagnement d’aucune théorie, devint à partir de 1916 le prétexte d’une vaste entreprise de théorisation. Walden se lança en effet à cette date dans l’élaboration d’une poétique générale, d’orientation abstraite, voire constructiviste, la « Wortkunsttheorie ». Celle-ci fut initiée sur la base d’une imitation formelle des procédés d’écriture de Stramm, tout en abandonnant la visée ontologique primordiale de cette dernière. Le destin posthume de Stramm ne devait toutefois pas se cantonner au cercle restreint des poètes gravitant autour du Sturm (Blümner, Heilblutt, Runge, Behrens…). Par les très nombreuses innovations dont elle fut porteuse, son oeuvre exerça une influence réelle sur de nombreux écrivains d’avant-garde, sur Kurt Schwitters, Jean Harp, Otto Nebel ou Arno Schmidt, par exemple, et jusque dans les années 60 sur la poésie concrète d’Ernst Jandl et de Gerhard Rühm. La lecture des oeuvres de Stramm, un siècle ou peu s’en faut après sa disparition, reste une affaire de toute actualité.

August Stramm
Théâtre et correspondance
et Poèmes et prose
Édition bilingue
Traduits de l’allemand par Huguette
et René Radrizanni
Comp’Act
224 et 272 pages, 18,29 (120 FF)
et 19,82 (130 FF)

La langue brisée Par Nycéphore Burladon
Le Matricule des Anges n°38 , mars 2002.
LMDA PDF n°38
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