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Zoom La correctrice

juin 2002 | Le Matricule des Anges n°39

Tout s’avale

Un mois après l’envoi du roman, j’avais reçu les premières épreuves – appelées « non corrigées », c’est-à-dire que l’éditeur n’était intervenu que sur la mise en forme du texte. Elles comportaient dans les marges des annotations manuscrites qui portaient cette fois sur le sens et sur l’orthographe. « Sur », par exemple, y aurait été repéré -trois fois en trois lignes- et puis tiens, tant qu’on y était, « cette fois » aussi ( on aurait lu, au feutre fin, « Cette fois » ? Je n’en vois pas d’autre…).
Un Chronopost. Je ne l’avais pas ouvert tout de suite. Au téléphone, on m’avait dit, Des broutilles, presque rien… Je sais dorénavant qu’il ne faut pas croire ce ton anodin ; on craint de vous fâcher, voilà tout. Les didascalies couvraient certaines pages au point que dans les moments d’humour, je cherchais la mieux ornée. De retour sur terre, je n’avais pas de mots assez durs envers moi-même. C’était un travail d’écrivain que j’avais sous les yeux, un feuillet égaré d’un VRAI manuscrit, questionneur, intelligent, fouillé. Certes, mais pas le mien. Je me mis au travail de façon effarée : je savais que j’en laissais passer, mais autant de bêtises confinaient à une joyeuse imbécillité. La maison pouvait brûler, l’urgence commandait de ne laisser filer l’état de ce roman sous aucun prétexte.
À la fin de la première journée de travail, j’écrivis une dédicace, un rectificatif plutôt. J’aurais demandé qu’on le plaçât en début de volume, restituant à ce dernier la maternité de la correctrice. Jusqu’à présent, j’avais cru que sa tâche consistait à débusquer la tournure malhabile, le tic langagier, la faute d’inadvertance. Or l’inadvertance, pour qui sait lire, est hautement significative, je l’appris immédiatement. Un exemple ? Claude, incorporé à la fin des années cinquante, étudiant en médecine. J’avais écrit à son propos – dans ma tête, il était clair qu’il s’agissait de sa génération – « Nous étions ces jeunes gens qui relevions du bout du pied, en ricanant, de vieux chefs implorant d’épargner leur village… » Nous ? interrogeait le feutre fin, et l’on entendait, Est-ce que vous croyez sincèrement que personne en France n’était pour le peuple algérien ? Vous êtes sûr de ne pas vous rappeler le manifeste des 121, dites ? Et que Lindon avait mouillé sa chemise pour publier Alleg ? Entre autres choses, hein. Je vous dis ça en passant.
Et puis « jeunes gens »…
Qui c’est ? les gens…
« Relevions » ou « relevaient » ?
Des conneries de ce genre, j’en avais marqué cent.
De ce genre ? Pas sûr. Je m’aperçus le deuxième jour que je n’étais pas irrémédiablement perdu. Ces grosses étourderies, là, dont j’avais taché le texte, commençaient à se défendre. Les répétitions -comme les arbustes, elles exigent selon la norme d’être plantées à au moins un mètre les unes des autres- regimbaient à l’éclaircissage. Si « dans » était écrit plusieurs fois, c’était que ça lui arrachait la gueule, au texte, de se retrouver avec des berlingots : « parmi lesquels » ou « au sein de ». Le surlendemain matin, je me rendis au travail dans un drôle d’état : en gants blancs, un peu circonspect. Je m’étais demandé si cela valait la peine, virgule, d’écrire. À présent, j’en retrouvais les motifs profonds.
Claude n’y connaissait rien en art. À preuve, il énumérait quelques noms de peintres qu’il avait retenus avec application. Un trait noir avait entouré celui de Van Dongen et renvoyait à un commentaire qui s’achevait par Même moi je connais.
Ttt, tt, tt. Nous ne fréquentions pas les mêmes incultes, et d’évidence, côté feutre, on n’avait pas attendu l’âge de vingt-cinq ans pour se rendre à une première grande exposition. Je ne tins pas compte de la remarque, avec une sorte de joie sourde. Celle-là avait pris toute la place, la dernière page du manuscrit achevée, et le roman cette fois dûment paraphé.
Je savais pourquoi je n’avais pas écrit certaines phrases, et certains mots resteront à leur place.
Jacques Rebotier, dans un entretien donné à cette revue, Le Matricule des anges, se disait frappé par le radical commun à « mot » et à « muet », mutus. Sans doute est-on en droit de demander aux écrivains de la fermer, de temps en temps, à moins qu’ils y parviennent sans l’aide de personne. Mais un examen approfondi de mutus nous apprend que le terme reproduit le son inarticulé d’un muet, lorsqu’il essaie de parler : Mout, mout, mout ! Ce qui signifie en clair : Écoutez-moi ! C’est important.
Nous nous avançons (tous. Tous les écrivains.) sur l’estrade en faisant Mout, mout, mout !
Les correctrices ont raison de refuser de paraître.
Je nous trouve cependant du courage.

Éric Holder

La correctrice
Le Matricule des Anges n°39 , juin 2002.
LMDA PDF n°39
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