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Égarés, oubliés Marie Borrely ou la fable géorgique

juin 2002 | Le Matricule des Anges n°39

Institutrice, Maria Borrély (1890-1963) a porté un regard empathique sur les êtres et le monde. Saluée par Gide et Giono, son oeuvre compose une fresque rustique dépouillée où le fantastique le partage au tragique.

Connue à l’égal de son contemporain et ami Jean Giono dans les Alpes-de-Haute-Provence, le renom de Maria Borrély s’estompe dès qu’on s’écarte un tant soit peu de l’épicentre dignois. Maria Brunel est née le 16 octobre 1890 à Marseille. Elle passe les vingt premières années de sa vie à Aix-en-Provence, puis à Mane. Toute fraîche émoulue de l’École normale d’institutrice de Digne, elle épouse en 1910 un de ses condisciples, Ernest Borrély. Ils débutent aux postes les plus déshérités et reculés des Basses-Alpes, où elle se retrouve seule avec son premier fils Jacques, né en 1911, quand son mari est mobilisé en 1914. Gravement malade, Ernest est évacué du front en 1917, et la famille se retouve pour un nouveau poste à Puimoisson sur le plateau de Riez qui domine la vallée de l’Asse où naîtra leur second fils, Pierre, en 1921.
En 1928, les Borrély se lient avec le peintre Joseph Boeuf, Gabriel Péri, Edouard Peysson et surtout Jean Giono. Tous partagent des convictions pacifiques, internationalistes et idéalistes. Dans sa préface au Dernier Feu de Maria Borrély, Giono écrira « Les Borrély ! Je plains ceux qui n’ont pas en eux ce mot-maître de l’optimiste, cette source et ce soleil. »
En 1928, Maria publie à compte d’auteur aux éditions Figuière Aube, un singulier essai sur le végétarisme, imprégné du Trésor des Humbles de Maeterlinck. Mais dans le même temps, à la plume sergent-major, dans des cahiers d’écolier et appuyée sur « la table de ses genoux », elle rédige son premier roman, Sous le vent que, sur les conseils de Giono qui vient de publier Colline, elle se décide à envoyer à Gallimard. Gide, enthousiasmé par ce drame paysan fantastique dont le héros est le vent, lui écrit longuement le 18 octobre 1929 : « Je reste devant votre livre comme devant un tableau dont chaque coup de pinceau m’enchante, au point que je ne m’inquiète pas beaucoup de ce qu’il peut représenter. » Dans la foulée, Gallimard lui fait signer un contrat pour dix romans, et publie Sous le vent en 1930, dont la critique salue le style rugueux : « Le mistral élargissait les confins de l’horizon, bleuissait le firmament, affinait la netteté des montagnes paraissant plus proches dont on distinguait, dans une atmosphère de cristal bleu, le détail sculptural, étonnamment précis : les rocs chauves, les échancrures, les éboulis dont on voit toutes les pierres, les escarpes avec leurs sillonnements, leurs réseaux de tubulures creusées dans le granit, et remplies d’ombre noire. »
En 1931, elle publie Le Dernier Feu, avec une préface de Giono, qui est en quelque sorte l’autre versant de Regain. L’histoire est celle d’Orpierre-sur-Asse que désertent tous ses habitants, apprenant qu’un barrage va être construit sur la rivière, sauf la vieille Pélagie : « Ainsi est devenue cette femme qui fut vive comme l’eau, droite comme un beau vase et belle comme le grand jour. Ses yeux sont sereins, une douceur flotte sur ses traits, une sorte d’huile, reflet de la tranquillité d’âme des vieux qui descendent leur sente et qui, par cela même, ont leur lampe éclairée. » Le roman est en lice pour le Prix Femina, mais Maria qui n’est jamais « montée » plus haut que Gap, se refuse à aller soutenir son livre dans les salons littéraires parisiens. En 1932, elle publie Les Reculas, l’histoire d’un petit village de la vallée de l’Ubaye qui vit sans soleil pendant les longs mois d’hiver. Elle rédige cette même année un récit d’une bouleversante modernité, Les Mains vides, qui ne sera publié que vingt ans après sa mort. Ce texte court suit les parcours de quatre hommes, partagés entre générosité et désespoir, confrontés à ce fléau nouveau qu’est le chômage, « bien émus de se retrouver comme ça, dans le grand chemin des peines ». Elle ne publiera plus aucun livre jusqu’à sa mort.
Le style de Maria Borrély est concis et noué comme un olivier de Provence, et contribue à ce que Gide le premier a souligné : « La puissance d’évocation d’une atmosphère un peu fantastique, et pourtant extraordinairement réelle ». La sensibilité âpre et chaleureuse de Maria Borrély, issue de cette race puissante d’hommes libres, rudes, graves et fraternels, son talent de conteur lucide et révolté, l’apparentent non seulement à son ami Giono, mais aussi à Ramuz et Charles-Louis Philippe, par ce « goût de l’homme » qui sous-tend toute son oeuvre.
En 1933, les Borrély quittent Puimoisson pour Digne, où Ernest vient d’être nommé. Maria demande sa mise à la retraite proportionnelle pour se consacrer pleinement à l’écriture. Mais, animée par une haute exigence morale, elle renonce au roman paysan et change totalement d’orientation intellectuelle. Elle se plonge dans l’étude des textes sacrés de l’hindouisme puis dans celle de l’Évangile de Saint Jean. Elle entreprend la rédaction de ce qui aurait dû être son grand oeuvre : une massive exégèse, restée à l’état de manuscrit parce que difficile et ésotérique, de ces textes religieux à partir desquels elle a tenté d’exprimer une philosophie personnelle de l’existence.
Pendant la guerre, la petite salle à manger de l’appartement des Borrély sur le boulevard Thiers devient très vite le point de chute de la Résistance. Ernest, syndicaliste et résistant actif, est arrêté par la Gestapo. Il deviendra après la guerre le premier président du conseil général, jusqu’à sa mort en 1959. Dans les années 1950, Maria s’essaie à de nouveaux drames et récits tout en poursuivant sa lecture assidue des textes sacrés de l’hindouisme et du christianisme. Elle vient souvent discuter à Samten Dzong, la maison qu’Alexandra David-Néel s’est fait construire à Digne, tout étonnée par sa connaissance de la Bhâgavad-Gîta. En 1952, elle s’installe au quartier du They. Elle s’éteint le 22 février 1963 et laisse le souvenir d’une femme simple, intègre, bonne, discrète et d’une grande élévation d’esprit. Comme l’a écrit un critique, elle est de ces écrivains « régionalistes » qui sont « toute union avec la terre originelle, tout jaillissement du sang ancestral, tout frémissement d’une vie qui sourd du sol subjacent et se prolonge, se ramifie à travers les moindres fibres de leur être ». Par l’intégrité du regard empathique qu’elle porte sur les choses et les êtres et par la rigueur d’une écriture éprise de liberté, Maria Borrély a composé une fresque rustique dépouillée où le fantastique le partage au tragique.

* Derniers ouvrages parus : Thorton Wilder, l’homme qui a aboli le temps (Belin, 2001) et Remy de Gourmont, Lettres à Victor Ségalen (Finitude, 2001)

Marie Borrely ou la fable géorgique
Le Matricule des Anges n°39 , juin 2002.