Il est des écritures qui prennent peu de volume, qui s’effacent d’elles-mêmes à peine tracées. Il s’agit de laisser le plus de place au lecteur, ne pas le diriger mais seulement l’accompagner dans sa lecture. Dans ce registre, on connaît depuis Alex et le silence (Milan, 1990), le talent de Nadine Brun-Cosme, cette façon avec laquelle elle entrouvre la porte des grands sentiments, tout doucement, pour qu’aucun courant d’air ne les chasse. Il y a là une délicatesse qui a tout à voir avec l’efficacité : un cadeau sincère emballé dans un simple carton sera toujours plus beau qu’un cadeau de circonstance enrobé de papier doré. Et c’est cadeau que cet album C’est mon papa ! qui instaure une relation tendre avec son lecteur.
L’histoire est minimaliste : Anna revient pleine d’enthousiasme de l’école. Mais sa maman, qui est dans un mauvais jour, dit non à toutes ses envies. Anna boude. Son papa rentré, la gamine refuse que sa mère participe aux rituels rassurants de la famille. Elle exclut sa maman de toutes les relations affectives. Nadine Brun-Cosme tourne le dos à des explications psychologiques trop didactiques. Elle se contente de dire des faits : Anna refuse que sa mère lui coupe la viande, « Non ! Pas toi ! Ce soir c’est mon papa ! ». La phrase cruelle reviendra trois fois, jusqu’au coucher. Il y a ça et juste ça : à travers le rituel du repas, du coucher et du bisou, Nadine Brun-Cosme montre le paradis duquel est chassée la maman.
Le tour de force consiste ensuite à faire comprendre que, chassant sa mère de son affection, c’est elle-même qu’Anna chasse de l’amour familial. Au moment de dormir, « Anna se retrouve seule avec la petite lampe et son bisou de papa. Mais ce soir, ça ne suffit pas. » Voilà, le retournement est opéré : les deux mots « ce soir » annonçaient jusqu’alors le rejet de la mère ; ils s’appliquent maintenant à la petite fille. Qu’on se rassure : la maman d’Anna, bien que triste et en colère d’abord, comprend ce qui s’est passé. Si elle revient dans la chambre, ce n’est pas pour la gronder mais pour clore le livre sur « un gros câlin ». Cette histoire est aussi une histoire de consolation pour le jeune lecteur qui pourra relire l’album juste pour apprécier ce moment où l’on retrouve un être qu’on avait cru perdre par sa propre faute.
On regrettera juste le choix des illustrations qui viennent atténuer l’émotion du texte. En choisissant d’incarner Anna et ses parents en renards, Michel Backès met une distance qui n’était pas nécessaire. Son trait, volontairement naïf, semble vouloir désamorcer le drame qui se joue. Une façon de dire par avance que tout va s’arranger. Heureusement son travail sur le cadre fait un écho juste au texte, notamment lorsqu’il montre la mère rejetée au pied de l’escalier qui conduit à la chambre d’Anna, dans laquelle, à contre-jour le papa et sa fille s’apprêtent à pénétrer. Il est vrai qu’il ne doit pas être simple d’illustrer le travail d’un écrivain qui compose avec le silence.
C’est mon papa !
Nadine Brun-Cosme/Michel BackÈs
L’École des loisirs
non paginé, 11 euros
Jeunesse Ce soir-là
juin 2002 | Le Matricule des Anges n°39
| par
Thierry Guichard
Ce soir-là
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°39
, juin 2002.