Si on ne peut pas dire d’un écrivain qu’il apparaît comme un des grands du siècle à venir sans passer pour un flagorneur péremptoire, qu’il nous soit permis du moins de penser qu’il en est ainsi de Valérie Rouzeau. Et essayons de voir ce qui provoque ce sentiment.
Certes, cette poétesse n’a pas, à ce jour, une oeuvre bien volumineuse. Trois recueils seulement figurent dans sa bibliographie. Et trois livres de traductions de Sylvia Plath et William Carlos Williams. Ce n’est pas beaucoup, mais il faut ajouter aussitôt que la jeune fille n’a que 35 ans et qu’ont disparu de sa bibliographie entre autres Je trouverai le titre après (Guy Chambelland, 1984), Petits Poèmes sans gravité (La Crypte, 1991), Chantier d’enfance (La Bartavelle-Le Noroît, 1992) et Patiences (Manège du cochon seul, 1994).
Ce dernier (cf. MdA No12) posait peu de mots sur la page, dans des sortes de haïkus délicats, pour dire l’angoisse du temps qui passe, la disparition d’une grand-mère. L’émotion était sensible. Pas revoir (Le Dé bleu, 1999) marque une naissance et fut un choc pour beaucoup : ce livre de deuil faisait suite à la disparition du père. Dans l’épreuve et l’urgence d’écrire, la poétesse découvrait une langue émotionnelle, balbutiante et généreuse. Avec ce recueil (cf. MdA No27), Valérie Rouzeau s’offrait un lectorat bien plus large que celui qu’ont habituellement les poètes et battait les records de vente de son éditeur. Neige rien (Unes, 2000), qui suivait, visait à changer encore une fois l’ordre de la langue pour éviter qu’elle ne se fige. Jeux de mots et jeux de sonorités, glissements sémantiques électrisaient le livre écrit à l’encre rouge (cf. MdA No31).
On avait donc la certitude, partagée par bon nombre de poètes, que l’oeuvre de Valérie Rouzeau faisait entendre une voix singulière et importante d’aujourd’hui. Ceux qui lisent les revues de poésie ont croisé son nom et ses poèmes plus d’une fois. Ils ont pu remarquer aussi combien la jeune femme était attentive au travail des autres à travers les dossiers qu’elle consacra dans Décharge, avec Jean-Pascal Dubost, à des poètes comme Yves Charnet, Ariane Dreyfus, Sabine Macher, Claude de Burine ou James Sacré. Ceci pour dire que Valérie Rouzeau n’écrit pas de la poésie : elle vit la poésie. À bien y regarder, on pourrait même dire qu’il y a là un engagement fort, perceptible dans Va où qui vient de paraître.
Ce nouveau recueil, somptueux, est probablement le plus difficile à lire : c’est qu’il s’entend avant tout. Il s’entend musicalement et rythmiquement, dans une ivresse de la langue qui entraîne le lecteur dans une danse étourdissante. On pourrait voir d’ailleurs, dans cette frénésie de la vitesse, la cause de l’absence de point d’interrogation dans le titre, trop long à tracer. Les mots vont si vite, étirant les phrases comme si elles étaient élastiques, qu’ils s’entrechoquent parfois, prennent des raccourcis sémantiques qui affolent le sens. Ce que l’on perçoit alors et...
Événement & Grand Fonds Va ivre et vite
juin 2002 | Le Matricule des Anges n°39
| par
Thierry Guichard
À chaque recueil, la poétesse Valérie Rouzeau invente une langue neuve. Dans Va où les longs vers vont vite pour faire que la vie décolle et s’abouche à la poésie. Bienvenue en poévie.
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