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Poésie La folle alliance

septembre 2002 | Le Matricule des Anges n°40 | par Richard Blin

Comme la lumière d’une étoile depuis longtemps disparue, Sylvia Plath n’a cessé de hanter Ted Hughes. Un couple mythique dont l’amour est commémoré en mendiant du bonheur.

Birthday letters

Contes d’Ovide

Quand il n’est rien d’autre que la nuit ou le silence pour donner un corps à l’attente, quand il n’y a plus qu’à laisser advenir les mots du souvenir, la poésie réussit parfois ce petit miracle de tirer lumière de la cendre : avec des mots d’eau limpide, des mots brûlés jusqu’au blanc du rêve, ou des mots d’énigme et d’évidence. C’est quelques mois avant sa mort que Ted Hughes (1930-1998), l’un des plus grands poètes anglais du XXe siècle, publia Birthday letters, un recueil de lettres-poèmes adressées à son épouse, Sylvia Plath (1932-1963) qui s’était suicidée trente-cinq ans plus tôt.
Née aux États-Unis, dans le Massachusetts, brillante élève, jeune lauréate d’un concours de nouvelles, elle connut très vite la réussite. Mais cocktails et mondanités lui tournèrent la tête. Première tentative de suicide. Reprenant le dessus, elle termine un doctorat sur Dostoïevski puis décide de poursuivre ses études à Cambridge. Elle y rencontre Ted Hughes, jeune poète déjà reconnu. C’est le début d’une liaison passionnelle. Il se souvient. « Un grand oiseau -toi/ A fait irruption, ton enthousiasme pour plumage/ Ton exaltation délirante. Une tension bleutée-/ Cobalt fluorescent, le flamboiement d’une aura. » À peine un an plus tard -« Ted dans sa vieille veste de velours noir et moi dans ma robe de tricot rose offerte par ma mère », comme elle l’a noté dans son Journal (Gallimard)-, ils se marient. « Tu étais transfigurée./ Si mince, si neuve et si nue./ Un petit bouquet de lilas humide, tête penchée./ Tu tremblais, tu sanglotais de joie, tu étais/ Toute la profondeur de l’océan/ Débordant de Dieu. (…) En lévitation à tes côtés, je me sentais soumis/ À une étrange tension : le futur, envoûté. »
Le futur, ce n’est pas l’avenir. « Le futur, c’est une tranche brute de temps, un écran parfaitement vide » écrit Sylvie Doizelet, l’excellente traductrice, dans sa préface. « Le futur de Sylvia Plath et de la famille Hughes -Sylvia, Ted, leurs deux enfants- n’existe pas, n’a pas existé, et Ted Hughes ne triche pas avec cette réalité-là ». C’est pourtant l’écho de leurs sept années de vie commune, son inoubliable onde de choc, qui irradie ces Birthday letters. Des moments de bonheur, des voyages, le doute, les épreuves, et toute une série, aussi, de signes mystérieux et récurrents. L’accord et l’écart, l’amour et les crises, la géographie capricieuse d’une vie en état d’urgence. Car Sylvia souffre, se débat avec l’écriture, avec le désir de réussir son couple et celui d’être une créatrice entièrement autonome. Avec ses démons aussi, ses obsessions et le fantôme d’un père adoré, qu’on dut amputer, qui mourut bien trop tôt, et dont l’impérieuse présence la consume littéralement. « Comme si tu descendais chaque nuit pendant ton sommeil/ Dans la tombe de ton père. (…) Ton sommeil était, je crois, un mausolée couvert de sang,/ Et sa relique sacrée/ La jambe amputée, gangrenée, de ton père. (…) Quelle était la liturgie/ De cet office nocturne, le culte/ Dont tu étais la prêtresse ? » Plus loin, Ted Hughes ajoute. « Tu voulais/ Être avec ton père/ Où qu’il puisse être. Et ton corps/ Barrait le passage. Et ta famille,/ Ta chair et ton sang,/ Étaient un fardeau. »
Contraint de composer avec de tels fantômes, Ted Hughes en est réduit à servir de souffre-douleur parfois, à offrir son écoute, son soutien, sa compréhension, sa patience souvent. Mais devant la façon qu’a Sylvia de n’être jamais nulle part chez elle, et confronté aux errances d’une âme égarée dans le dédale obscur de sa nuit intérieure, il ne peut que l’accompagner (« Je n’étais/ Qu’un accompagnement, je portais les bébés,/ J’attendais que tu reviennes parmi nous ») en témoin impuissant du travail de sape de la folie, travail qui se manifeste jusque dans ce qu’elle écrit. « Tes mots/ Des petits morceaux de scarabée et d’araignées/ Rejetés, vomis par des chouettes. Fluorescents,/ Bleu-noir, brisés. Crânes de chauve-souris. » Des mots blessés, des mots « Tournant le dos à la lumière,/ Retenant leurs entrailles. » Lui qui fut accusé, parfois très violemment, d’avoir été responsable du suicide de sa femme, révèle ici, au contraire, leur lutte pathétique contre la distillation lente des sucs meurtriers, « chacun de nous/ Sécrétant un venin spécial empoisonnant l’âme de l’autre,/ Chacun de nous était un pieu/ Qui empalait l’autre. »
Livre de deuil et de retrouvailles, tombeau et bouquet d’ultime hommage à celle dont il ne garda qu’une petite mèche de cheveux, la bague, la montre et la chemise de nuit, ces Birthday letters ont été publiées peu de temps après Contes d’Ovide, une sélection de vingt-quatre des célèbres Métamorphoses. À la lecture successive de ces deux livres, il est troublant de constater combien le sentiment d’Ovide -selon lequel bien des choses, dans ce monde, relèveraient d’un mystérieux tissage qui déciderait de la trame de nos existences- habite les Birthday letters. On y retrouve aussi, sur un mode symbolique, la versatilité des dieux, le transfert des apparences, les corps au supplice, l’éclat, le trouble et le silence. Au fond, c’est le même univers sans appel et surtout sans rédemption, le même constat de relativité, le même désenchantement.
Magnifiquement traduits par Patrick Reumaux qui a su donner un timbre à toute la violence pulsionnelle à l’œuvre dans ces Contes, voilà un ouvrage qui devrait figurer en bonne place dans toutes les bibliothèques des collèges et des lycées de France.

Ted Hughes
Birthday letters
Traduit de l’anglais par Sylvie Doizelet
Gallimard
243 pages, 19,50
Contes d’Ovide
Traduit de l’anglais par Patrick Reumaux
Phébus
282 pages, 19,50

La folle alliance Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°40 , septembre 2002.
LMDA PDF n°40
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