La vie, comme ça, telle que quand l’orage à coups de castagnettes crève l’asphalte des villes et que tu n’as même pas la casquette pour te protéger la cervelle du désordre ambiant, que le tintamarre du fric t’arrache les tympans et que l’aveugle travail de sape du capitalisme va tambour battant, alors c’est du ni bon à cuire ni bon à bouillir, autant dire que dalle et gueule de bois, voilà ce que je me tue à lui rabâcher tous les matins et aussi qu’on va droit dans le mur, tu comprends. Elle fait pschitt pschitt avec son atomiseur à patchouli, elle a mis des bas aujourd’hui je me demande bien pourquoi, elle passe à la va-vite son trois-quarts beige que je n’aime pas trop, elle est déjà partie. C’est fou, je me dis, comme les femmes peuvent se montrer parfois insoucieuses du sort de la planète et de nos chagrins aussi ; à croire que je lui parle palhavi, ma parole !
Claquemuré dans la coquille du quotidien comme bateau dans sa bouteille il me faudrait reprendre les choses en main certes et d’abord briser l’étau des habitudes en me levant les fesses de ce satané fauteuil à bascule par exemple, pointer le nez dehors et m’en aller rêver cinq minutes au grand air ou bien filer tel un zèbre à l’autre bout du monde voir si là-bas ça bouge un peu plus qu’ici, voilà ce que je me suis dit en décapsulant une nouvelle canette pour commencer. Parce que si je lui expose par le menu mon programme pour régénérer la société et marcher, haut les cœurs !, vers les beaux dimanches de l’anarchie, elle va encore me répondre Jules et Jim, soldes d’hiver, édredon de plume et duvet d’ange et se mettre à fredonner La vie en rose ; ça finira, c’est sûr, par une engueulade maison. Non, il me faut prendre le taureau par les cornes maintenant et m’attaquer moi-même à la quadrature du cercle sans quoi rien, jamais, ne progressera d’un pouce dans ce foutu pays, c’est tout.
J’allais justement lâcher mon fauteuil et m’atteler à la tâche quand Larry s’est amené à l’improviste prendre un verre. On a d’abord examiné la situation sous tous les angles en sirotant un petit whisky. Larry et moi on est vite tombé d’accord là-dessus : ce n’est pas avec deux bâtons de dynamite et un cordeau Bickford qu’on va régler le problème du bien et du mal et remettre l’envers à l’endroit ; faut être yankee et avoir le cul beurré de pétrole pour croire ça, on a conclu. Oui, mais quand un brave à trois poils se pique de régenter à lui seul l’univers et menace de nous plonger tous dans la mélasse on ne peut pas rester là à tourner en rond comme des gnous dans la savane et d’abord, j’ai dit, on ne va pas laisser les choses rouler ainsi à vau-l’eau et endosser ensuite crimes et barbarie sans jamais réagir, c’est grimper au créneau qu’il faut maintenant, mon vieux, et pas mollir du tout, merde ! À force de palabres et aussi de whiskies on était drôlement remontés tous les deux, surtout que Larry avait idée que la guerre rampait quasiment déjà dans le jardin.
Les...
Dossier
Pierre Autin-Grenier
Finalement on attendra la guerre bien tranquillement à la maison
janvier 2003 | Le Matricule des Anges n°42