Des livres comme autant de viatiques pour rencontrer la vie : Joël Vernet écrit entre humilité et émerveillement. De voyage en contemplation, l’auteur avance au rythme de son souffle, avec le souci d’un authentique abandon.
« Au fond, je pars avec ma besace à la manière d’un vagabond, d’un colporteur et je ramasse tout ce que l’on jette, transformant ces rebuts en trésors. » Chaque livre de Joël Vernet s’ajoute au précédent comme un chapitre supplémentaire composant le récit d’une vie tout en voyage et contemplation. La Nuit errante poursuit ainsi dans une prose poétique délicate une aventure, un vagabondage où sont salués enfance, lumière, oiseaux, mais aussi le poids des ténèbres en tout être et la solitude dans ses assauts les plus subtils. Cette balance entre les deux, les textes de Joël Vernet tentent de l’exprimer, dans un équilibre qui tient autant de la rigueur de l’écriture qu’une authentique présence au monde. L’émerveillement triomphe cependant, tant les manifestations de la nature emportent l’homme au-delà de ses difficultés à affronter la folie de ses semblables. C’est notre propre humilité qui est interrogée dans ces pages, qu’on nous emmène en Afrique ou au cœur d’un jardin, devant un enfant ou parmi les foules.
Joël Vernet refuse toute expérimentation littéraire : l’écrivain doit s’effacer devant son sujet, qu’il s’agisse de la nature ou des êtres, se laisser traverser par la toute puissance de la parole, qui devient parfois le sujet même de cet abandon. « Un rien fait lever l’immense en moi. Un rien. La beauté d’un visage. Une fleur sur le bord d’un chemin, une silhouette, la nuit derrière un rideau. Un veilleur, quelque part dans le monde, inconnu. L’attente, la sourde, l’amère attente. Celle qui abolit la frontière entre la vie et la non-vie. Celle qui vous crève les poumons, vous arrache les yeux. L’attente : cette diablesse, cette sorcière, cette douce compagne. » C’est peut-être l’une des rares prétentions de Joël Vernet : être de ces veilleurs. Maintenir le flambeau d’une parole qui ne doive rien à la littérature mais tout à la vie.
Votre livre s’intitule La Nuit errante. Vous écrivez dans une sorte de lente dérive, une rêverie dont la nuit serait l’inspiratrice. L’écriture est-elle la mémoire de ces sensations ?
La dérive, la nuit, la rêverie et la mémoire… Mes quatre as, mes seuls tarots. L’écriture est une mémoire ancienne, très ancienne. Elle prend source, non seulement dans cette nuit présente, la nuit des Grands veilleurs, je pense ici à l’admirable Novalis, mais aussi et surtout, dans la lumière des jours d’enfance, dans la lumière de chaque instant. Elle est, cette écriture, qui est un pur artisanat, un éclat, un éclair, une sorte, toujours, de journal des heures, journal tenu justement dans la nuit du jour, en marge de l’activité des autres hommes, pourtant fiché au cœur du monde, là où palpite l’essentiel, le langage incarné, la poésie. Je crois profondément, pour en...
Entretiens Une aventure de pauvre
mai 2003 | Le Matricule des Anges n°44
| par
Marc Blanchet
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