Le gouvernement n’ayant pas encore capitulé dans son désir de réformer le système des retraites, il a fallu braver les différents mouvements sociaux (échapper de justesse à une grève de la SNCF, puis aux perturbations de plusieurs lignes du métro parisien) pour retrouver la partie est du Marais (« très haut, très étroit »), sous la belle lumière d’un matin de juin. Dans son appartement qu’il n’a pas quitté depuis 1959, date à laquelle il s’y est installé avec son épouse, Hubert Lucot nous attend. Il a déjà profité de deux bonnes heures d’écriture pour consigner dans son Journal quelques notes sur la fraîcheur matinale, qui contient toute la chaleur à venir. La porte d’entrée à peine franchie, un Tal Coat bien visible, acheté récemment par son épouse, annonce l’omniprésence de la culture en ces lieux. Mais pour lors, l’heure est au café.
En une quarantaine d’années, Hubert Lucot a constitué une œuvre en prose riche et puissante, qui exige du lecteur une attention soutenue, notamment dans ses premiers livres, que leur extrême densité rend assez peu lisibles. Livre après livre, son écriture s’est peu à peu simplifiée, sans jamais renier sa propre ligne (le refus définitif de la facilité), sans jamais se départir de sa spécificité propre, c’est-à-dire en continuant de s’accorder au fonctionnement du psychisme humain et en laissant l’inconscient s’exprimer. Sa phrase explore ainsi toutes les facettes du réel, s’enrichissant à la fois de références culturelles, d’objets anodins rencontrés par son stylo-caméra, de l’actualité la plus brûlante, ou encore de considérations sur l’écriture. Si son œuvre peut être jugée sérieuse et grave dans son ensemble, elle n’exclut pas quelques facettes plus légères, comme Les Voleurs d’orgasmes, sous-titré « Roman d’aventures policières, sexuelles, boursières et technologiques », ou certains de ses slogans aux allures de maximes sarcastiques : « Les économistes estiment que la vie n’est plus rentable. Il faut se tourner vers d’autres solutions. »
Hubert Lucot est né en 1935, à Paris. Les premières années de sa vie sont celles de l’extrême pauvreté dans le 15e arrondissement, et plus encore celles de l’enfermement. Jusqu’à l’âge de sept ans, il va voir ses parents emprunter régulièrement de l’argent à ses tantes (celles qu’il nomme « tata » dans ses livres les plus récents), pour la plupart mariées à des médecins ou à des avocats ; c’est d’ailleurs chez elles, à une quarantaine de kilomètres de Paris, en Seine-et-Marne, non loin de Coulommiers, que le jeune Hubert retrouve la lumière qui lui manque.
Il passe la drôle de guerre (de septembre 1939 à août 1940) dans les montagnes d’Auvergne, dans une propriété de son oncle, « une espèce de châtelain » qui était alors riche. En 1942, les affaires de son père, réalisateur, s’arrangent miraculeusement : celui-ci réalise un court métrage sur Rodin (dont le tournage est évoqué dans jac Regrouper) qui remporte un grand succès. Il profite de cette réussite...
Dossier
Hubert Lucot
Chercheur de lumière
juillet 2003 | Le Matricule des Anges n°45
| par
Didier Garcia
En une trentaine de livres, Hubert Lucot tisse une œuvre singulière, échappant à toute école, ayant refusé les avant-gardes des années 1970 pour se frayer sa propre voie et proposer sa lecture du monde.