C’est un enchantement des sens que ce livre. D’abord dans son apparence même, dans sa tessiture, folie éditoriale dont Encre marine nous a habitués : agréable au toucher, agréable à l’œil, l’ouvrage est une offrande. C’est ensuite une myriade d’éclats, de sons et de sensations qui jaillit sous la lecture. On retrouve à nouveau l’obsessionnel chant de François Solesmes : un chant d’amour religieux pour l’océan, saisi à corps tendu, sur les plages sauvages des Landes. Un homme vient donc se livrer au spectacle océanique, à marée montante, seul. Des premières flammèches au grand incendie, tout de la rumeur océane est observé, restitué ici dans une langue sans retenue qui vise les épousailles avec l’onde : « Les mots de jouissance et de réjouissance sont dans les airs, sans cesse soutenus et relancés dans leurs sonorités qui s’affaissent. » La fête des sens se met en place et convoque les images pour dire l’incommensurable. Ici « un dresseur de chevaux (…) tend aux vagues une invisible barre à franchir et c’est merveille que d’entrevoir leurs encolures plonger avec ensemble. » Comparée à une invasion de barbares, l’armée des vagues déferle inlassablement sur le rivage, se nourrissant de ses précédents assauts et « l’on croit assister, au ralenti, à la dislocation d’un empire. » L’auteur appelle le feu et le givre, l’arbre et la forêt, au secours de son lexique et convoque en son lyrisme toutes les couches de l’Histoire. Cela donne comme en une toile de peintre, un jaillissement de couleurs et de sensations physiques, des éclairs hallucinés, presque surréalistes qui associent « l’effraction des eaux par cent nageurs côte à côté » et « une explosion gigogne où l’on verrait éclore, de proche en proche, une allée de cerisiers ». L’image est d’une justesse foudroyante pour qui s’est un moment arrêté sur ces plages où semble avoir été conçu le monde. Quatre-vingt-dix pages célèbrent ainsi l’océan et lui seul. Peu fait pour les lecteurs pressés, ce premier volet du triptyque élève les éléments bien au-dessus de l’homme. La femme, seule, peut « mettre la mer à la raison ».
Dans la deuxième partie, l’amante vient rejoindre l’homme sur la plage. Ils sont seuls avec l’amour. Lentement, avec une torturante patience, la main de l’homme va prendre la mesure du corps de la femme et « soumettre le couple, l’amour, à l’épreuve du feu limitrophe. » L’érotisme est poussé ici à un état d’extrême tension, dans une succession de monologues intérieurs qui sont autant d’appels, d’acceptations, de vœux, d’abandons. « Tu m’écarquilles, tu m’étales… Fais de mon ventre une grande paupière abaissée… Et puis descends… descends !… pour que je sache l’ivresse d’être proie. » Et même si « voici pour eux le temps de l’ineffable, celui de l’effacement du langage », l’écriture éveille en nous l’intime de notre mémoire et découvre la source originelle. Rarement l’amour physique aura été dépeint avec une telle force d’évocation, une telle attention, une telle foi. La montée paroxystique que la marée accompagne et qui s’empare des deux amants (« Elle n’est plus que mouvements réflexes pour se cambrer, s’arrondir, monter vers la main qui la flatte, qui lui imprime et l’image d’une bête chevauchée et celle d’un dôme que le soleil épanouirait »), nous conduit à la pureté de l’instant. Le dernier volet du triptyque, à marée descendante, apaise le sang d’une longue marche tranquille qui donne le sentiment d’appartenir au monde. Célébration.
Marées
François Solesmes
Encre marine
257 pages, 26 €
Domaine français La fête océane
juillet 2003 | Le Matricule des Anges n°45
| par
Thierry Guichard
L’océan, un homme, une femme : à cette trinité absolue, François Solesmes donne une langue luxuriante et précise pour en célébrer l’union. Jamais Éros ne fut si bien paré.
Un livre
La fête océane
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°45
, juillet 2003.