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Essais La langue oubliée

juillet 2003 | Le Matricule des Anges n°45 | par Bertrand Serra

À partir du traitement particulier qu’ont fait subir certains écrivains juifs à leur langue d’élection, Régine Robin en appelle au métissage.

Le Deuil de l’origine

Une langue en trop, la langue en moins«  : c’est le sous-titre de cet essai, publié à l’origine en 1993 aux Presses de l’Université de Vincennes, consacré aux œuvres d’écrivains (en l’occurrence, Kafka, Celan, Freud, Canetti, Perec) dont l’origine juive joue un rôle fondamental dans leur écriture. Régine Robin, sociologue et romancière, s’appuie sur les textes et l’histoire familiale de chacun d’eux pour étayer son hypothèse de départ -la présence problématique d’un idiome perdu, le yiddish (sauf pour Canetti, le judéo-espagnol).
La présence-absence de ce dialecte viendrait en effet saper leur rapport à leur langue »maternelle« , l’allemand (pour Perec le français). Ces écrivains, dit-elle, sont « travaillés parfois à leur insu, par de l’autre dans la langue, de la langue autre, une langue déjà perdue, familiale, ancestrale, à fleur de mémoire mais à jamais impossible à convoquer. » Le yiddish reste en tout cas celle du silence, de l’errance, du traumatisme -pour Perec et Celan, la Shoah, la »disparition« de leurs parents. Ces auteurs, poursuit-elle -et c’est là une articulation essentielle de son développement-, écrivent en lieu et place de cette langue fantomatique, qu’ils ne parlent pas. Lieu et place vides, trou, blanc, créés par l’impossible deuil de leur passé… Position qui n’est pas sans entraîner un déplacement, sans créer un hiatus, une béance. Un interstice au sein duquel va se tramer un travail obscur de rencontres, de confluence des idiomes. Écarts linguistiques, écarts d’identité, instauré par cette langue-frontière. C’est dans cette fissure que se glisse l’étrangeté. Les exemples choisis par Régine Robin sont probants.
Elle nous convainc à l’évocation de Paul Celan, qui installe la mort et le silence dans l’allemand ; le « brise pour s’y inscrire en creux, désarticule la syntaxe, injecte dans sa poésie des mots étranges (français, hébreu, yiddish, espagnol), tente de se rapprocher du cri, du bredouillement, du balbutiement comme pour mieux signifier que le sens est définitivement blessé ».
Régine Robin retrouve ce procédé chez Kafka, qui traite l’allemand comme « une voix-off, sans effets de style, parfaitement neutre, une langue moyenne, modeste, une langue pour passer inaperçu, à partir d’un hors-lieu », duquel il injecte d’autres langues, mineures -allemand de Bohême, tchèque, hébreu, yiddish. Robin reprend à ce propos un passage du journal de Kafka (qui qualifie l’allemand de »langue d’emprunt« ) où il explique que s’il n’aime pas sa mère, c’est parce qu’il est obligé de lui dire Mutter
Que ce soit Perec -qui déchire, triture, rompt, lacère, troue les mots- Canetti, qui emprunte de multiples langues comme on endosse, selon son expression, des « masques acoustiques », que ce soit Kafka ou Celan, ils fragilisent leur langue d’expression, la font dérailler, la font bégayer, en font apparaître les manques, les fêlures.
Dans la postface écrite pour cette réédition, consacrée aux »écritures migrantes« , Régine Robin élargit son horizon en jetant des passerelles vers d’autres territoires, critiquant le monolinguisme français pour mieux évoquer le métissage, la pluralisation, Joyce, Beckett, Glissant ou Confiant et le traitement »créole" de la langue. « Écritures du déplacement, du passage, écritures appelées à se généraliser aujourd’hui », écrit-elle, pour conclure : « Nous parlons tous, dans notre propre langue, une langue étrangère. » C’est à peu de choses près (« les beaux livres sont écrits dans une langue étrangère ») ce que pensait Proust. Un essai, parfois ardu, mais intelligent et solide dans son argumentation.

Le Deuil de l’origine
Régine Robin
Kimé - 238 pages, 22

La langue oubliée Par Bertrand Serra
Le Matricule des Anges n°45 , juillet 2003.
LMDA PDF n°45
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