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Poésie Roulez jeunesse !

septembre 2003 | Le Matricule des Anges n°46 | par Xavier Person

Chet Wiener démontre ce que peut être la poésie : relance des représentations, perturbations des interprétations, prodigalité miroitante.

Devant l’abondance

Est-ce à cause de son prénom, on entend à la lecture de Chet Wiener quelque chose à l’oreille comme le souffle murmuré d’une trompette, dans des départs soudains, des relances de rythmes, des glissements en sourdine. Mais si l’on parle de jazz, et on a très envie d’en parler, peinant d’abord à définir ce qu’on éprouve à la lecture de Devant l’abondance, c’est la manière d’un Ornette Coleman qu’il faudrait plutôt évoquer : les décrochages mélodiques font des embardées dans la phrase, les poèmes sont de surprenantes esquisses d’architectures sonores écroulées, emportées par un swing souterrain et somme toute assez tranquille.
L’entropie ici accentue ses effets, les poèmes contiennent un nombre euphorisant d’images par seconde. Les phrases sont assouplies par les vers, souvent à huit ou dix pieds (ou plus ou moins), déhanchées par une prosodie assez élastique pour pervertir l’axe. Les miroitements sont hachés menu, l’approche est un frôlement amoureux, les silhouettes durent longtemps, l’érotisme est dans le bâillement syncopé des attitudes, l’équivoque des postures tronquées. Sensation d’un rare déséquilibre à la lecture : les glissements de terrain déterritorialisent à vue d’œil. L’abondance est plus devant nous que derrière : un poème à lui seul est une possibilité quasi inépuisable d’interprétations, une anthologie de faux départs, un concentré de niveaux différents, une épopée minuscule et dissonante, une chanson légère dans les angles morts du récit. La somme des bifurcations égale zéro ou l’infini.
Disons-le nettement, malgré le désir qu’on en a, il n’est guère facile de parler d’un tel livre, tant le lire est se projeter en avant de soi-même, en un lieu peu certain où des intuitions se laissent juste entr’apercevoir : « Parfois on peut suivre./ Parfois la suite est un/ revirement l’éléphant,/ L’enfant, les bras découpant/ tranquillement la surface/ De l’eau, colorée cette fois/ Par une main stable quoique/ L’œil comme les puces ou/ Les grues vire innocemment/ Par ceux qui y croient/ Ou ont confiance. » Le virage est ici figure centrale, en ce qu’il demande au conducteur une certaine décontraction pour attaquer la courbe, mais toute sa vigilance pour ne pas verser dans le décor, sans jamais trop savoir quoi attendre au tournant, renonçant peu à peu à toute idée de ligne droite. Relax Max, à l’aise Blaise… On est sur une sorte de manège ou de montagne russe, il y a juste à tourner : « Je voulais parler des roues,/ De cette avance vers l’efficacité racontée. Mais comment mettre la séquence/ Si elle n’est pas dans la cause ? »
Rien à déployer dès lors. Rien à poser qui ne se retourne aussitôt, se renverse. Nulle ontologie que rotative, réversible. N’avancer qu’en roulant s’annule à mesure qu’on avance et pourtant on avance. Devenir une roue est une possibilité d’existence. Les pirouettes sont faites pour rire en général, « Si la glissade compte dans/ Le choix d’écart décomposé. » La matérialité atteinte peut faire du lecteur un homme de sable au moment où se retourne le sablier. Le poème ressemble à un accélérateur de particules où l’on ne capte plus que des passages de vitesse, dans quelque chose comme une antimatière rêveuse. Précipités avec douceur, les substantifs voient un peu leur substance s’étirer, métamorphoses en action dans une légèreté inventée, délestés, rendus à une sorte de vitalité qui vaudrait pour nos vies : on n’adhérerait plus à rien d’ancien en soi, on prendrait des mots vieux, les précipitant dans un virage après quoi on ne répondrait plus de rien, tout pourrait arriver. L’abondance est un devenir joyeux dans la césure à l’hémistiche ou ailleurs. Des phrases peuvent être écrites dans le poème, qu’on n’attendait plus, dont l’incohérence fait la minutieuse justesse.
Rien de mieux que la vivacité de ce livre pour combattre la pesanteur lyrique et les cucuteries tragico-sentimentales ambiantes. Rien ici de commun. Rien que de commun, mais transporté. Tout un art de l’attente s’autorise de la méticulosité d’une écriture qui grossit les détails, refermant sa focale, dans l’intervalle des disjonctions, sur l’infime, l’insignifiant peut-être d’une vie bien remplie, sans jamais préjuger de rien : (…) « Oui, je voulais/ Sonder ces cassures, ces riches/ Couvées de petites maisons où/ L’égrènement premier persiste. » Cela fait comme un ralenti dans des accélérations parfois, une espèce de suavité déroutante. Ne rien chercher à reconnaître est la condition pour s’avancer dans ce récit hallucinant d’intimité finalement, entraînant celui qui n’a rien à perdre dans des sensations encore inédites, un peu comme dans une conversation au bord du sommeil, lorsque l’écroulement menace, au moment où le départ d’un rêve soulève l’enchaînement d’une phrase.

Devant l’abondance
Chet Wiener
P.O.L
71 pages, 14

Roulez jeunesse ! Par Xavier Person
Le Matricule des Anges n°46 , septembre 2003.
LMDA PDF n°46
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