Une trentaine de romans, une centaine de nouvelles, des pièces écrites pour la radio et la télévision n’auront pas suffi à sortir James Hanley, auteur prolixe des années 30, d’un oubli immérité. Et pourtant, Boy, paru en 1931, lui a permis de faire la une des journaux non pour la qualité de son roman d’une noirceur profonde, mais pour une accusation d’obscénité. Boy faillit bien ne jamais rejoindre les commerces. L’éditeur, prudent et prévoyant, a contourné l’obstacle en coupant les passages pouvant heurter. Boy a pu partir à la conquête de lecteurs qui, pour le coup, ont pris une gifle toute littéraire.
Issu du peuple, mousse lui-même, James Hanley a vécu à la dure. Il est sans aucun doute très bien renseigné pour raconter les mésaventures d’Arthur Fearon, un enfant pauvre que ses parents retirent de l’école à 13 ans pour le forcer à travailler dans les docks de Liverpool, lieu de naissance de Hanley. De faible constitution, Arthur n’a qu’un rêve : réussir socialement et porter, comme son instituteur, des chaussures neuves, symboles de sa revanche sur la pauvreté. Le trio indigence-alcool-violence en aura décidé autrement. Battu par son père, « un être dur et obstiné », sous les yeux d’une mère indifférente, malmené par les hommes des docks, il s’embarque clandestinement à bord d’un cargo en partance pour Alexandrie. Là, pétri d’illusions romantiques sur les voyages en mer, d’ailleurs reprises par le narrateur pour mieux les souligner, et sur lui-même, il espère devenir lieutenant, gagner un bon salaire et aider ses parents. Teintés d’une naïveté touchante, les songes d’Arthur le rendent ridicule auprès « des hommes dont la mer avait façonné la vie » : « Il s’imaginait tout pavoisé de bleu et d’or en train de faire visiter le navire à ses parents fiers de lui ».
James Hanley n’épargne rien à son personnage qui se cogne à la réalité et met le genou à terre sous des déferlantes de jurons proférées par un équipage qui manque au passage d’abuser de lui. Boy apparaît comme un roman réaliste, d’autant plus cruel que c’est d’un enfant dont il s’agit. Un môme qui voudrait rester môme, un gosse qui hurle le nom de sa mère lorsqu’il ne supportera plus un milieu dont il se sent exclu. Drame social, Boy dénonce, en pleine crise économique de 1929, le destin avorté de toute une génération ouvrière. Il décrit également un système de caste encore à l’œuvre au début du siècle. Le principe en est d’une simplicité biblique : les pauvres restent pauvres. Un marin lucide se charge par exemple de faire la leçon au petiot : « Bon sang ! Y a pas un bordel de poste d’équipage qui ne soit plein à craquer de matelots diplômés. (…) Dis-toi que tu seras matelot. Matelot, un point c’est tout ». Aucun espoir donc et Fearon, dont le nom est dérivé de peur en anglais, ne parviendra pas à surmonter sa terreur de l’autorité, du travail physique, des femmes qu’il connaît peu et des hommes dont il craint la force et le langage ordurier.
Après avoir ballotté son lecteur par gros vent, lui avoir fait sentir les puanteurs du port d’Alexandrie et l’avoir trempé dans l’eau croupissante des fonds de cale, James Hanley trouve une fin inattendue et originale à sa contre-épopée. Elliptique, suggérée à la dernière phrase, elle prolonge en un acte libératoire la dureté du livre. Le calme après la tempête.
Boy
James Hanley
Traduit de l’anglais
par Jean Perier
Joëlle Losfeld
266 pages, 10 €
Poches Porté manquant
janvier 2004 | Le Matricule des Anges n°49
| par
Franck Mannoni
Œuvre noire et réaliste des années 30, Boy dénonce une société industrielle qui met ses enfants au travail. Un texte poignant.
Un livre
Porté manquant
Par
Franck Mannoni
Le Matricule des Anges n°49
, janvier 2004.