Holmes et moi est une tragi-comédie, dont la dimension tragique de l’existence est exprimée sous son aspect le plus mortifère. Avec la mort annoncée d’Holmes, sa tutrice légale et tante atteinte d’une grave maladie, Armand est brutalement confronté au réel et ne peut plus recourir à aucun fantasme. Abandonné par son père dont il n’a aucune nouvelle, orphelin d’une mère suicidée « pendue dans la salle de bains », il doit à présent se préparer à prendre en main sa propre vie. Débute alors une danse macabre, une course contre la montre où Armand et Holmes s’échinent à chercher un futur mari et tuteur potentiel, celui qui devrait prendre soin du jeune adolescent après le « voyage » d’Holmes.
Dans ce récit foisonnant, Jakuta Alikavazovic pose les questions essentielles et brosse avec tact une figure de l’adolescence. Même si l’histoire d’Armand est peu vraisemblable, elle parvient à convaincre car l’auteur a construit son récit comme on tisse une toile avec minutie. Et l’envers vaut bien l’endroit. Avec Holmes et moi, Jakuta Alikavazovic joue serré. Remarquablement construit et écrit, ce roman-journal fait entrer d’emblée le lecteur dans le pulsionnel et la violence du propos d’Armand. L’émotion affleure subtilement et accroche à la lecture. Armand se dit « invisible » : il fait « partie de ces adolescents timides (…) un petit con réactionnaire (qui a) du mal avec le rap, le verlan et la culture MTV. » Il est le souffre-douleur idéal des élèves de sa classe de seconde, un gringalet à l’allure et au prénom désuets. Mais Armand est aussi un être volubile (dans son journal intime), amoureux de la plus belle fille de sa classe qui « regarde les gens sans les voir, est pleine de fric, hautaine et méprisante », s’interroge sur sa sexualité et le sens de sa vie. Grâce à une maîtrise de la narration parfaite alternent avec bonheur la tension extrême, l’humour, l’ironie, l’autodérision et le trait un peu forcé des personnages qui rendent la lecture de cette histoire hystérique possible.
Avec Holmes et moi, on suit les moments charnières de la vie d’Armand (basculements, rencontres, séparations). De page en page, le temps passe rapprochant Holmes de la mort et Armand de l’abandon, le livrant à lui-même : « Mon cerveau roule d’un bout à l’autre de mon crâne et me rappelle autre chose (…) juste un mouvement qui ressurgit brièvement de mon passé. Deux cravates nouées l’une à l’autre (…) et à l’autre bout le cou de ma mère, qui se balance doucement au-dessus de la baignoire. » Des phrases sont posées comme des hurlements intérieurs, parfois ironiques, parfois cinglantes, dévoilant un texte où le verbe plus que l’action est mis en avant. Le rythme rapide autorise le vertige et la voix frontale en accentue l’effet. Armand se dit qu’il peut d’un instant à l’autre devenir fou, Armand grandit.
Holmes et moi est un roman qui révèle plus qu’il ne provoque. C’est un détour symbolique pour s’assurer de la valeur de sa propre existence. La fin de l’histoire permet une issue possible : la fragile relation qu’Armand tente d’établir avec le monde en se donnant de nouvelles cartes dont il doit apprendre à se servir… seul.
Holmes et moi
Jakuta Alikavazovic
L’École des loisirs,
« Médium »
179 pages, 9,50 €
Jeunesse Pile ou face
février 2004 | Le Matricule des Anges n°50
| par
Malika Person
Dans son premier roman, Jakuta Alikavazovic met en scène un adolescent de 15 ans devant l’ampleur de ce qui fait une vie.
Un livre
Pile ou face
Par
Malika Person
Le Matricule des Anges n°50
, février 2004.