Les continents peut-être imposent à ceux qui y vivent leur destin. Ainsi trouve-t-on dans l’ultime fuite de William Walker, l’aventurier devenu président du Nicaragua au XIXe siècle, une fin semblable à celle de Che Guevara, au siècle suivant, en Bolivie. Mêmes forêts, même débandade, mêmes fleuves infranchissables : « Autour ce sont des eaux jaunes et bourbeuses emmêlées de branchages où crient des perroquets apeurés, au-dessus les longues traînées orange qui écorcent le ciel cendreux. »
Pura Vida est une errance tenue par deux dates, comme deux serre-livres. Le 21 février 1997, le narrateur enquête sur William Walker à Malagua. C’est-à-dire qu’il lit la presse locale, fume des cigarettes, songe à Bolivar, autre errant, et rencontre d’anciens sandinistes pour écrire « un livre qui s’écroulerait avec l’échec des révolutions cubaine et nicaraguayenne, et les exécutions d’Arnoldo Ochoa et d’Antonio de la Guardia le 14 juillet 1989 ». Le 28 février 1997, il est plus au Nord, à Tegucigalpa, capitale du Honduras. Il lit la presse qui évoque la guerre du bois avec le Salvador (et lui rappelle la guerre du football qui coûta la vie à 6 000 personnes), se souvient du Che et d’un agent de la CIA infiltré à Cuba, le Che.50. Aux personnages réels, la forme fictionnelle impose la présence de Victor, des deux côtés de la frontière. Victor erre la photo d’une belle inconnue à la main ; il est le « double amnésique » du narrateur. Ce dernier, tel le héros de Malcom Lowry, boit un rhum qui peut « en une seconde, distiller devant vous les plans majestueux d’œuvres gigantesques et de Jérusalems célestes, bâtir de subtiles constructions aériennes un instant entrevues dans leur perfection glorieuse et dorée au fond des miroirs du comptoir, et aussitôt évaporées dès que la plume brisant le sortilège rencontre le papier. » Ce ne sont pas des cathédrales qu’il construit, mais des tombeaux que deux siècles ont donné à l’Histoire. Dans cette visite aux disparus, l’écriture tisse une à une les solitudes, liant les morts aux vivants. Comme ce téléphone du Grand Hôtel de San José (Costa Rica) : « j’avais attrapé par les cornes ce taureau qui ressemblait à un téléphone (…) (modèle si vieux que l’idée pouvait vous venir d’appeler quelques hommes morts depuis longtemps) ».
Quand on finit ce livre, s’il est possible que ce livre finisse, on parle couramment espagnol et on souhaite exister davantage quitte à devenir comme Walker un « homme présomptueux, sublime et ridicule » qui a « approché trop près du soleil de la gloire. » Car il vaut mieux brûler que disparaître lentement.
Pura Vida, vie et mort de William Walker
Le Seuil (« Fiction et Cie »), 279 pages, 19
Dossier
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février 2004 | Le Matricule des Anges n°50
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