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Essais Détruire, disaient-ils

février 2004 | Le Matricule des Anges n°50 | par Eric Naulleau

Dans son cinquième livre traduit en français, W.G. Sebald déchiffre une page de l’histoire allemande longtemps restée dissimulée sous un tapis de bombes.

De la destruction comme élément de l’histoire naturelle

Le scientifique britannique Solly Zuckerman avait quelque temps envisagé de confier à Cyril Connolly, alors responsable de la revue Horizon, un article sur la destruction de Cologne vers la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Il y renonça au motif que « (sa) première vision de Cologne exigeait une relation plus éloquente que tout ce (qu’il aurait) pu écrire. » Du projet avorté subsista un titre, sous lequel paraissent aujourd’hui en français trois textes du regretté W.G. Sebald (1944-2001), les deux premiers dérivés de conférences données en 1997 à Zurich sur le thème « Guerre aérienne et Littérature », le troisième consacré à l’écrivain allemand Alfred Andersch, représentant d’une très improbable « émigration intérieure » durant la sombre époque du nazisme.
Évoquer les bombardements alliés à partir de 1943 sur la plupart des grandes villes allemandes équivaudrait à ouvrir un placard où achèvent de pourrir non pas un unique cadavre, comme dans les romans policiers, mais les restes d’environ « six cent mille victimes civiles ». L’auteur avance en effet que la profondeur de l’empreinte laissée par cette apocalypse sur la société allemande est inversement proportionnelle à sa presque invisibilité dans la littérature nationale. Afin d’étayer le premier terme de l’axiome, Sebald affirme sans mollesse que le miracle allemand s’explique par « un flot d’énergie psychique, intarissable jusqu’à ce jour, dont la source est le secret gardé par tous les cadavres emmurés dans les fondations de notre système politique ; un secret qui a lié les Allemands dans les années de l’après-guerre, qui continue encore de les lier plus efficacement que tout objectif concret n’aurait su le faire et je pense ici à la réalisation de la démocratie » avant d’ajouter, histoire de mieux agacer des dents qu’on entend déjà grincer : « Il n’est peut-être pas hors de propos de rappeler ce contexte, en ce jour où le projet de la Grande Europe, qui a déjà échoué par deux fois, entre dans une nouvelle phase et où la sphère d’influence du deutsche mark l’histoire a une propension à se répéter s’étend sur un territoire à peu près aussi vaste que celui qui était occupé en 1941 par la Wehrmacht. »
Et pour mieux appuyer le deuxième terme de sa démonstration, il passe au crible critique, parmi « les rares documents que nous a transmis la littérature », trois romans malgré tout inspirés d’une poétique des ruines allemandes, La Cathédrale de Peter de Mendelssohn, Nekyia de Hans Erich Nossack et La Ville au-delà du fleuve de Hermann Kasack. En quelques mots, et pour rester dans notre thème, disons qu’au terme de l’examen ne demeure de ces trois œuvres qu’un paysage digne de Dresde ou de Hambourg après les raids britanniques. Impitoyable démolition dont la sévérité paraît parfois quelque peu excessive, en particulier dans le cas de Kasack, mais toujours appuyé sur une analyse serrée des pièces à conviction et une étourdissante érudition.
Dans le placard ouvert par W.G. Sebald macère depuis une soixantaine d’années la mauvaise conscience des enfants et petits-enfants respectifs des barbares nazis et des civilisés alliés. On ne saurait donc s’étonner qu’un déplaisant parfum de gêne s’exhale de ces pages. Malaise métaphysique que d’aucuns s’efforcent de dissiper au moyen d’une comptabilité macabre six millions d’êtres partis en fumée contre six cent mille personnes écrasées sous les bombes, ou en faisant valoir que le châtiment collectif tombé du ciel était le seul moyen d’arracher le mal à la racine. Il faudrait un Bernanos pour dire tout le dégoût qu’inspire cette philosophie de parfait salaud. Faute de mieux, on peut toujours méditer ce passage cité par Sebald du Journal d’un désespéré de Friedrich Reck qui a pour cadre une gare de Haute-Bavière le 20 août 1943 : « Une valise en carton « tombe sur le quai et répand son contenu. Des jouets, une trousse à ongles, du linge en partie brûlé. Pour finir, le cadavre d’un enfant calciné et réduit à la taille d’une momie, que la femme à moitié folle a transporté avec elle comme relique d’un passé encore intact quelques jours auparavant » ».

De la destruction comme élément de l’histoire naturelle
W. G. Sebald
Traduit de l’allemand par Patrick Charbonneau
Actes Sud, 160 pages, 17, 50

Détruire, disaient-ils Par Eric Naulleau
Le Matricule des Anges n°50 , février 2004.
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