Poursuivant avec une admirable fidélité leur entreprise de résurrection (voir Lmda N°42), les Éditions Parangon publient aujourd’hui le premier long poème de Nâzim Hikmet. Nous sommes en 1928 : Hikmet revient de Moscou, où le futurisme et l’acméisme, Malevitch, Maïakovski et la féministe Alexandra Kollontaï avaient encore pour peu de temps droit de cité. En Turquie l’attend la prison : enfermé pour la première fois (et non pour la dernière…) à Hopa, sur les bords de la mer Noire, Hikmet s’échappe et s’envole avec les mots, vers un Paris qu’il rêve, et la Joconde qui se meurt d’ennui au Louvre : « Prison du passé ce musée/ me pèse si lourdement/ que la peinture à l’huile s’écaille sur mon visage. » Elle décide alors de « tenir un carnet de notes ». Vient un Chinois, Si-Ya-Ou : « aujourd’hui mon Chinois/ s’est immobilisé/ dans mes prunelles » mais le fascisme rôde, à Paris les chômeurs se jettent à la Seine, et en Chine la Révolution s’éveille. La Joconde s’envolera pour rejoindre Si-Ya-Ou et périra avec lui, victime de Tchang Kaï-Chek. Hikmet ébauche ici, avec une sorte de réjouissante ingénuité, ce mélange, qui lui sera propre, de prosaïsme fantasque et de lyrisme charnel : les métaphores éclatent, surprenantes et justes et, lorsque roule à terre la tête de Si-Ya-Ou, « la Joconde florentine perdit/ son sourire plus célèbre que Florence encore. »
La Joconde et Si-Ya-Ou de Nâzim Hikmet
Traduit du turc, présenté et illustré par
Abidine Dino, Éditions Parangon, 80 p., 6 €
Histoire littéraire La mort de la Jonconde
mars 2004 | Le Matricule des Anges n°51
| par
Thierry Cecille
Un livre
La mort de la Jonconde
Par
Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°51
, mars 2004.