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Domaine français Mon père, ce colon

avril 2004 | Le Matricule des Anges n°52 | par Thierry Guichard

Second volet du diptyque commencé avec Casa, Raoul emprunte les voies de l’enquête familiale pour dresser le portrait du père de François Salvaing. Et faire le procès d’un siècle inféodé au capital.

Raoul

Portrait de mon père en Français d'Empire
Editions Stock

Il nous a donné l’un des tout meilleurs romans de la rentrée dernière : Casa racontait le passage du Maroc à l’indépendance et la vie d’Armand et Agathe. François Salvaing n’en avait pas fini avec une histoire qui le hante et pour cause : son Armand s’appelle en fait Raoul Salvaing et Agathe Emmeline Gerville-Réache. Ils sont l’un et l’autre le père et la mère de l’auteur. Parti en terre de fiction pour cerner un peu mieux celui auquel il ne cessa de s’opposer, ce père qui se rêvait capitaine d’industrie après avoir été fils de concierge, François Salvaing revient donc sur les terres marocaines, ariégeoises et marseillaises comme on enquêterait sur soi-même. Terre marocaine et natale, terre ariégeoise et paternelle et Marseille qui n’est pas une terre, mais un horizon sur l’Afrique au bord duquel naquit Raoul Salvaing. Quand François Salvaing demande à l’écriture de dessiner l’arbre généalogique, l’écriture se perd en des milliers de branches. Non que sa famille fut bien vaste, mais parce qu’on est tous enfants d’un siècle et que ce siècle, l’écrivain, le styliste, le journaliste, l’homme engagé et l’historien veut nous le faire entendre. Nourri d’une nécessité très intime, le livre (on allait écrire : le roman) ne s’appuie pas sur les certitudes qu’on veut bien se forger pour raconter, façon éloge, la vie d’un homme mort en 1987. C’est tout au contraire sur les incertitudes, sur les doutes que se bâtit ce récit et ces failles-là conduisent plus sûrement à explorer la profondeur d’une vie. L’auteur ici n’aplanit pas la toile cirée, passée à l’éponge de la nostalgie d’une époque qui fut un peu la sienne et beaucoup celle de ses parents. Il propose au contraire de dessiner les morceaux d’un puzzle dont on devine que personne jamais ne pourra totalement l’assembler. Il emprunte à d’autres écrivains le pinceau qui ravivera ses propres souvenirs, il met au jour des archives qui sont parfois de simples factures dont l’évocation pourtant révèle l’atmosphère d’une époque (et marque le niveau de l’échelle où l’on s’est hissé), il en appelle à la fiction quand l’incertitude débouche sur l’ignorance. Et tout est beau, cependant que le beau n’est pas recherché.
On aurait envie, tout de suite, d’envoyer le lecteur à la fin du livre où trente pages écrites en forme de poème prennent tout ce qui précède, trois cents pages de proses, le soulèvent et le dispersent au vent comme on le ferait des cendres d’une urne funéraire. Trente pages pour dire en un délire malade le second retour au pays natal, le Maroc. Trente pages qui vrillent leur folie hallucinatoire au cœur de celui qui, jusqu’alors, a tenu sous le corset de la langue l’épanchement sentimental. « & j’osais enfin me jeter en même temps que dans le voyage, de tout mon corps dans le flux des phrases » : cet « enfin »-là ressemble à une naissance ou à l’extraction d’un corps douloureux, celui du père donc, mort sans que ni ses fils ni lui-même n’aient réussi à s’entendre.
C’est que Raoul représentait assez bien l’esprit que François aura toute sa vie combattu : bourgeois, raciste, antisémite. Si le livre tourne souvent au procès, ce n’est cependant pas le père qui figure sur le banc des accusés. C’est plus exactement une forme de domination sociale qui commence par jeter les grands-parents dans le soupirail d’un immeuble rue Paradis à Marseille où Élisa a obtenu un poste de concierge. La vie privée sous le caniveau et la publique dans la loge au service de gens comme ce « Castan de Planard, « qui avait de l’usage avec les gens de sa caste et pratiquait l’insolence avec les autres » ». D’être si bas que les médiocres vous regardent de haut donne l’envie de grimper fissa l’échelle sociale. « Fissa » imagine François Salvaing, sera le premier mot arabe qu’apprendra son père en débarquant, service militaire effectué, au Maroc « qui compte quatre millions d’habitants tutoyables à merci » et qui fera office d’échelle sociale pour le futur entrepreneur.
Le récit fait des va-et-vient d’une berge l’autre de la Méditerranée, nous place au présent de l’écriture, revient au passé des souvenirs et des archives. L’économie, le cinéma (Casablanca oblige), la grande Histoire et les petites anecdotes tissent le fil de cette quête qui nous conduit du Maroc à la Guinée, de Casa à Verdun en Ariège.
On n’en dira pas plus du destin de Raoul et d’Emmeline, du Maroc et de ses roses (seize tonnes de fleurs donnent quatre kilos de parfum, apprend-on), du racisme ordinaire et de la volonté de « réussir ». Ce livre ne se lit pas comme une confession, quand bien même il pourrait au final en prendre le ton : il dépasse la sphère familiale pour embrasser un siècle français et (encore) colonial. Surtout, il convoque au tribunal de l’histoire autre chose que des faits : le sentiment des choses. Et toujours dans cette langue que Salvaing s’est forgée et qui, quoi que sa modestie en dise, rend vivant ce qui dans les livres d’histoire nous apparaît mort.

Raoul
Portrait de mon père en Français d’Empire

François Salvaing
Stock, 366 pages, 19,50

Mon père, ce colon Par Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°52 , avril 2004.
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