Ce recueil de proses inédites d’Ossip Mandelstam, l’un des grands poètes russes modernes (mort d’épuisement en 1938 en camp de transit après avoir été persécuté par le régime), rassemble plus de quarante textes brefs, sur des sujets aussi différents que Moscou, la Géorgie, le théâtre grotesque russe ou Tchekhov, essais sur la poésie, dont le fameux « Matin de l’Acméisme » ou « De la poésie contemporaine », esquisses de conférences, chroniques…
Écrits entre 1912 et 1936, ils témoignent presque tous, même ceux où la fatigue et l’épuisement s’y marquent, de ce « délire prosaïque » si propre à la prose hachée de ce grand styliste aux métaphores péremptoires, frappantes et justes. Du niveau des ses autres grands livres, tels que Le Sceau égyptien, Le Bruit du temps ou Voyage en Arménie, on retiendra aussi d’Été froid l’ironie très fine de son article sur le programme de poésie destiné aux enfants russes, la critique sans concession qu’il fait des Carnets d’un toqué de Biély (un modèle) ou encore ses pages sur Moscou, l’été de 1923 : « Sous l’averse, elles (les dactylo besogneuses) ôtent leurs petits souliers et traversent en courant des ruisseaux jaunes, dans la glaise rougeâtre des boulevards détrempés, serrant contre leur poitrine leurs souliers-canots sans eux c’est le désastre : l’été est froid. Comme si un sac de glace (…) était caché dans l’épaisse verdure du parc ». Tout l’ensemble a cette vitesse descriptive, claquante comme un fouet et concentrée comme des grappes agitées d’hirondelles.
Été froid de Ossip Mandelstam
Traduit du russe par Ghislaine Capogna-Bardet
Actes Sud, « Lettres russes », 270 p., 23,50 €
Poésie Bouquet russe
juin 2004 | Le Matricule des Anges n°54
| par
Emmanuel Laugier
Un livre
Bouquet russe
Par
Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°54
, juin 2004.