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Poésie L’Histoire sous insomnie

juin 2004 | Le Matricule des Anges n°54 | par Emmanuel Laugier

Patrick Beurard-Valdoye livre le quatrième volet de son « Cycle des exils »par un long poème épique d’une Europe meurtrie par les guerres.

Il faudra sans doute du temps, de la patience, une endurance imperturbable, mais surtout la volonté ascétique de lire lentement, sans chercher à tout y comprendre, pour avoir conscience de l’ampleur du projet que mène, depuis Allemandes (mem/Arte Facts, 1985), le poète Patrick Beurard-Valdoye. Intitulé sobrement « Cycle des exils », les quatre premiers livres enchevêtrent les strates d’une Histoire de l’Europe, et plus particulièrement celle des rapports franco-allemands. Avec Diaire (2000), Mossa (Al Dante, 2002) et cette fameuse Fugue inachevée, il est question de lancer des balises en eaux troubles : elles clignotent alors et éclairent ce que l’Histoire laisse en sommeil dans ses propres histoires : qu’il y soit question du langage, des anciens phrasés de la langue française, comme dans Diaire (où l’on songe souvent à Rabelais et Villon), ou, comme dans Mossa (livre de presque 600 pages), d’une cartographie de « l’entrelacs des canaux dormant » de « la Meuse frémissante et dorée… » (selon l’épigraphe d’une lettre de Marcel Proust), Patrick Beurard-Valdoye donne voix à un véritable « tournoi de silhouettes ».
Il propose de suivre toutes les âmes de ces pays frontaliers, pays humides, gris, balafrés, plein d’eaux, de passeurs, d’inondations, de vaches « aux mamelles gonflées comme des ballons pattes écartées à la renverse ». Pays encore où l’on fuit, où la fugue de l’histoire déporte et exile. Car, rappelle l’auteur, entre les mots fugue et fuir on rencontre Führer. Dans La Fugue inachevée, la guerre a lieu (mais c’est ici la Grande Guerre), celle qui mêle indistinctement la boue au sang des petits gars du front. On y découvre des correspondances entières, René écrit à Lucile (peut-être lointaine sœur de la femme du révolutionnaire Camille Desmoulins, tous deux guillotinés d’avoir émis des réserves contre la Terreur), on y décrit des billets perdus et retrouvés. Les lettres partent de Stuttgart, de Mulhouse, de Belfort, de Ludwigsburg, de Morvilllard, de Delle, etc., un curé y parle d’Armand mort d’une balle dans la tête en pleine nuit, de fraternités de Noël qui n’ont pas duré entre les camps français et allemands… Tous les régimes d’écriture se croisent : narrations, carnets, chronologie, poème en vers, proses lentes et classiques ou au contraire remuées en vitesse célinienne, constructions de tournures cadrées comme des optiques atomiques, de micro à macro perceptions. On croise aussi dans cette Fugue inachevée des aînés : Hölderlin lance des voix d’oiseaux dans sa tour, Rimbaud s’éloigne, Celan écrit la Fugue de mort, le suisse Henri Dunant, l’un des fondateurs de la Croix rouge, est également une figure centrale. Il fait d’ailleurs partie, semble-t-il, de la photo décrite à la fin du livre (« la figure d’Henri omniprésent par sa taille ») où un ange-photographe, inventeur de la lecture en négatif du réel, relie tous les points éclatés de l’Histoire, maintenant en tension la distance entre eux.
Si bien que dans le battement ouvert du temps, entre les protagonistes exilés en pays souabe entre 14-18 et trois exilés infâmes (Pétain, Laval, et Céline) de 44-45, il y a passages pour une lecture croisée de l’histoire. Jusqu’à son insomnie dont témoignent de façon saisissante le procès et la tentative de suicide, puis l’exécution de Laval.
Cette façon d’écrire l’Histoire, nul doute qu’elle est magistralement au travail chez Patrick Beurard-Valdoye, sûrement l’un des poètes les plus audacieux aujourd’hui. En résistant aux discours, aux verdicts, à la représentation, la poésie (la sienne) touche et « construit le narré » d’une mémoire inhabituelle, d’une mémoire pensante, d’une mémoire où s’engendre la pensée du présent. Un livre-fleuve aux aguets.

La Fugue
inachevée

Patrick
Beurard-Valdoye
Al Dante/Léo Scheer
478 pages, 25

L’Histoire sous insomnie Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°54 , juin 2004.
LMDA PDF n°54
4,00