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Essais La honte et l’excès

juin 2004 | Le Matricule des Anges n°54 | par Thierry Guichard

À la lueur de ses lectures de grands auteurs, Michel Surya poursuit sa descente au plus bas. Dans une langue et une pensée à la radicale beauté.

Humanimalités

Matériologies, 3
Editions Léo Scheer

Pour qui voudrait porter la pensée philosophique jusqu’en un point que la philosophie refuse d’envisager, la littérature offre une voie souterraine. On parlerait volontiers de galeries, comme celles des taupes dont Kafka parle dans Le Terrier, des galeries, écrit Surya, « immenses, et belles, et d’une complexité telle qu’il n’y a pas jusqu’à la pensée pourtant souveraine de la bête elle-même belle et immense et complexe, qui a pensé et construit ces galeries, qui ne s’y perde ». La taupe, la galerie et les animaux qui s’enfouissent dans la terre pour fuir sont autant des métaphores de la pensée que son sujet même, abordé ici à travers les œuvres de Kafka, Schulz, Bataille ou Gadenne, Hofmannsthal, Rilke… Tous, en des formes ou à des degrés divers, ont imaginé une Métamorphose qui toucherait l’homme (Kafka, Schulz) ou l’animal (Gadenne), parfois au moment de mourir ou afin de disparaître. L’homme rendu par ses pairs (et souvent, remarque Surya, par ses pères) à son état de bête (« à quelque hauteur que se hissât l’homme, à quelque hauteur en tout cas qu’il le prétendît, celui-ci ne cesse pas cependant d’être une bête »).
Cette attention portée au « très bas » avait trouvé son expression politique dans De la domination (Farrago, 1999) où Michel Surya démontait les mécanismes d’un capitalisme souverain, propre à domestiquer l’homme aussi bien qu’à l’exterminer. Dans la série des Matériologies, dont Humanimalités constitue le troisième volume1, c’est en explorant les galeries prémonitoires des écrivains, que le philosophe avance les yeux ouverts comme devant l’effroi.
Il y a dans la pensée de Michel Surya, autant que dans sa phrase, quelque chose qui excède. C’est-à-dire : qui va au-delà des limites, comme si la pensée cherchait à se dépasser elle-même, s’exténuer, se transcender. Dans les galeries kafkaïennes, il faut encore à la phrase de Surya, forer et creuser, en une série d’affirmations avancées puis reprises qui vrillent la logique avec quoi c’est le mur de la raison qu’elle perce. On est au bout d’une pensée que la part visionnaire devrait désarmer, que l’horreur même de ce qu’elle pense devrait rendre interdite (comme on est interdit devant ce qui effraie), mais qui, au contraire, se nourrit de l’effroi qu’elle se fait à elle-même.
Michel Surya avance à partir de Kafka une pensée que la lecture de Schulz prolonge, et que d’autres lectures alimentent. Un système naît sous nos yeux, non pas bâti d’abord par l’intelligence, mais ressenti (rêvé ?) par le malaise, le trouble ou la souffrance. Surya le remarque : les écrivains qui, avec Kafka, ont décelé ce que l’homme en lui nourrissait de bestial (et de bassement bestial : vermine, rat, taupe) et ce vers quoi il serait réduit par ses pairs, sont des écrivains juifs. L’holocauste n’est pas un point de l’histoire, mais l’horizon même de l’humanité.
Aussitôt annoncée cette catastrophe, on a envie d’insister sur la beauté de la phrase aussi bien que de la pensée avec lesquelles Michel Surya progresse. Cette beauté procède comme une litanie, non pas élevée vers Dieu, mais abaissée plutôt vers cette sous-humanité à laquelle, autre exemple, Guyotat prête voix. La langue porte la trace d’une expérience vécue dans la solitude, ou, plus exactement, dans les solitudes d’écrivains.
La rhétorique peut avoir quelque chose de factice : cette façon d’avancer par doubles négations, la grâce d’un subjonctif qui épuise les possibles. Mais, pour qui a lu les récits de Surya au premier rang desquels Olivet (Fourbis, 1996), il apparaît que cette attention portée à « ceux que la honte, que l’humiliation obsèdent » répond à une nécessité intime. En porter l’obscure lueur jusqu’au plus profond des textes permet dès lors de relever la trace d’une même intranquillité, la faire ressurgir. Du coup, ces traces font comme une carte, dont un axe serait donné par un aveu de Bernard Noël auquel un texte est consacré : « J’essaie de parler de ce qui est bas, parce que c’est encore ce qui est le moins compromis. » Cette attention au bas, au rebut de l’humanité, n’est pas sans compassion, ou, pour reprendre le mot que semble préférer Surya, pas sans « condoléance ». Insistons là-dessus : cette condoléance exprimée à l’adresse de « l’espèce humaine » ne se tourne pas tant vers le passé de l’humanité (Auschwitz) que vers son futur ou sa nature même. Elle ne débouche dès lors sur aucune consolation.
Pour autant, on soulignera l’exceptionnel désir de lectures qui découle de la lecture d’Humanimalités. La façon avec laquelle Michel Surya traverse l’œuvre de Schulz, surtout, mais également de Bataille, Blanchot, Antelme et ceux déjà cités, donne la certitude que la littérature seule peut tenter de porter la pensée dans son excès et mettre la raison « hors d’elle » pour faire « l’expérience de l’impossible » et devenir, comme l’animal « une immédiateté nue que rien ne borne ».

Humanimalités
Michel Surya
Éditions Léo Scheer
263 pages, 17

1 Les précédents volumes des « Matériologies » : L’Imprécation littéraire et Mots et monde de Pierre Guyotat ont paru également chez Farrago en 1999 et 2000. Enfin Humanimalité (Néant, 2001) est repris ici sous le titre « Franz Kafka, la métamorphose catastrophique ».

La honte et l’excès Par Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°54 , juin 2004.
LMDA PDF n°54
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