La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Poésie Diagonales du vertige

juillet 2004 | Le Matricule des Anges n°55 | par Richard Blin

Entre ascétisme et agrammaticalité, Patrick Wateau s’enfonce dans ce qui troue la langue et la fait mourir à elle-même.

Plus de dix ans déjà que Patrick Wateau (né en 1959) a publié son premier livre, Heurtoirs, préfacé par Bernard Noël. Dix ans de crispations tétaniques autour du corps qu’il soit de chair ou de langue, du silence ou de la mort. Une écriture qui tient de la photosynthèse foudroyante, relève de l’injonction et de l’urgence, comme de l’abouchement chirurgical. Une mise en mots qui a des allures de mise en pièces, une radicalité qui force l’attention, heurte, atteint, désempare quelquefois. Des découpes dans l’à-vif d’une langue encore irradiée par ses origines latines ou grecques. Une forme de violence, une réalité tranchante dont Patrick Wateau s’explique dans Semen-contra, et dont Hécatonomie nous offre une nouvelle illustration.
Semen-contra est un essai suivi d’un ensemble de notes et d’aphorismes (titré « Promptuaires ») qui abordent la poésie de la seule façon qui vaille vraiment, c’est-à-dire sous l’angle de sa réalité linguistique, et de ce qui la fonde en tant que rage de l’expression. Véritable coupe dans cette réalité, authentique plongée au cœur de cette expérience, l’ouvrage pourra paraître rebutant à certains mais c’est sa façon de s’imposer comme de faire très vite le tri entre lecteurs et non-lecteurs… Entreprise de démystification, il explore cette expérience abrupte, et par définition inachevable, qu’est souvent la poésie moderne. Car écrire n’est pas seulement tracer des mots, c’est « faire accéder la langue à une dimension encore inconnue », c’est « éprouver la résistance nerveuse de toute phrase », c’est toucher des limites. Et Patrick Wateau de chercher à éclairer un peu l’obscure algèbre de ce qui est en jeu dans l’activité créatrice, celle tout au moins dans laquelle la nécessité d’écrire « devient impossibilité d’écrire autrement et abandon de tous les possibles pour intensifier cette seule nécessité ». À commencer par ce qui fonde peut-être l’aventure de toute écriture radicale, à savoir la transgression syntaxique.
La syntaxe, il faut la désaxer, la tordre, « l’ambiguïser ». Le langage, il faut le défaire sémantiquement et syntaxiquement, le raréfier, le « couper selon une prosodie qui n’est ni celle de la langue ni celle de la poésie antérieure ». Il faut le condenser jusqu’à « atteindre cette sourde résistance à quoi l’on reconnaît une voix singulière, c’est-à-dire départagée de la langue et du langage comme un ton ou un style ». Autrement dit « intensifier l’agrammaticalité », chercher au plus loin « l’anomalie-disconvenance », trouver le « degré d’inacceptabilité » capable de traduire et de produire une véritable émotion poétique. « La poésie n’est pas une langue qui s’apprend et qui serait le désarticulé ou le syncopé, mais les raisons fulminantes de désarticuler et de syncoper sont la poésie ». Le poème est un langage qui naît de la destruction d’un langage, de sa réarticulation « autour d’un fond nerveux à haut risque ».
La mise à nu de cette expérience irréductible, qui est celle d’un sujet entendu « comme souffrance d’une présence à soi » et que Patrick Wateau place sous les auspices d’Artaud et de Celan, de Ghérasim Luca et de Guy Viarre lui permet aussi de s’attaquer à cette forme insidieuse de censure qui consiste à opposer le lisible à l’illisible, en oubliant de prendre en considération le fait que « l’indicible » peut être « le mouvement même de l’exigence poétique », tenir à la nature même de la matière poétique quand elle est « langue d’angles hurlant pour vérité trouvère ».
« Ne rien écrire d’autre que ce que l’on meurt », « ahurir sa langue et tracer son intersection avec l’horizontal cadavre », Hécatonomie en décline quelques beaux exemples. Poèmes coupés de nuit, fractures s’ouvrant aux limites de l’impensé, opérations sans anesthésie, chaque poème semble s’échanger contre ce qui le consume ou le mine. « Arrache par arrachement/ penser corde interne/ de l’étroit,/ la vieille,/ vieille main déchaussant sa parole. »
Une poésie où il faut écouter chaque signe de ponctuation jusque dans son silence, où chaque mot s’éprouve et où le sens paraît bien lié « au caractère abrupt et discontinu de sa propre saillance » : « Verrouillés mais ouvreaux,/ orifices,/ mettent l’aguet partout./ Le temps passe son terme/ comme quelqu’un regarde comme. »
Sorte de point zéro ardent, ces poèmes, écrits au scalpel, semblent n’être que des fragments, les corps décharnés d’une écriture vécue, pensée, traversée par des dispositifs coupants ou dislocants, quelque chose comme la résultante de forces soumises à leur plus grande nécessité et agonisant de ce qui les dépasse et les ouvre à un horizon désespérément absent. Comme si, désormais, le poème ne pouvait avoir lieu qu’entre absence et impossible.

Patrick Wateau
Semen-contra
José Corti, 170 pages, 16
Hécatonomie
José Corti, 168 pages, 15

Diagonales du vertige Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°55 , juillet 2004.
LMDA papier n°55
6,50 
LMDA PDF n°55
4,00