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Des plans sur la moquette L’année dernière à marée basse

septembre 2004 | Le Matricule des Anges n°56 | par Jacques Serena

Vous avez Jean Echenoz qui, dans son roman Cherokee, s’est amusé à piller éhontément Jean-Patrick Manchette (je ne suis pas entrain de balancer un ami, il s’en est beaucoup vanté lui-même). Vous avez François Bon qui dit en riant qu’il « sample » amicalement, de-ci, de-là, dans ses livres, un morceau d’Echenoz. Vous avez évidemment le grand Alain Bashung qui chante « l’année dernière à marée basse », « excuse-moi part’naire », « le long des golfes pas très clairs », ou qui crie « alcaline, sur la plage ».
Et vous avez, par exemple, moi, qui emprunte à ce Bashung un couplet de son « Samuel Hall » pour le coller dans une de mes nouvelles, paroles signées Olivier Cadiot, et quand je vois Cadiot et lui en parle, il me répond avoir lui-même emprunté toutes ces phrases dans un vieux polar de Jim Thompson. Et il ne l’avoue certes pas : il le clame en riant. Lui qui, de toute façon, nous sort carrément des livres de matériaux 100 % recyclés. Du genre épouvantail. Lui qui est de ceux qui savent qu’une même chose, dans un tout autre contexte, est une tout autre chose.
Et là on pense évidemment à Picasso sculpteur, ramassant une selle de vélo pour en faire sa tête de chèvre. Ce même Picasso, incorrigible récidiviste, qui venait à peine de terminer sa série des Ménines, d’après Vélasquez. Sans parler de Duchamp citant intégralement la Joconde de Léonard de Vinci, en y collant simplement une moustache. Ou prenant son porte-bouteilles ici, pour le mettre là, et le signer. Tout ça dans le même ordre d’idée.
On pourrait continuer longtemps, citer encore le génial compositeur contemporain Luc Ferrari qui, dans ses « Enfilades », nous refait le coup de « Ainsi parlait Zarathoustra ». Style clin d’œil facétieux, là. Comme disait Arrabal, ou Topor, ou je ne sais plus qui : l’artiste se doit de prendre ce dont il a besoin là où il le trouve, y compris dans la poche du copain, si c’est là qu’il le trouve.
Alors, moi, encore. Depuis le départ, que je dise. Dans mon Isabelle de dos, si je me souviens bien, il y a du Leslie Kaplan. Dans mon Basse ville, du Heinrich Böll, et bien sûr du Beckett, et je crois bien que c’est dans celui-là que j’ai coincé un couplet de Tom Waits, époque « Rain Dogs ». Dans mon Lendemain de fête, il y a du Hemingway, du Stig Dagerman. Dans mon Rimmel, du Gabily (mais là, de bonne guerre, lui aussi s’était amusé à me taxer deux, trois choses). Dans Plus rien dire sans toi, il y a évidemment pas mal de Nico (égérie du Velvet Underground), et, à la toute fin, un clin d’œil bien appuyé à Bashung, citations de « Vertige de l’Amour ». Et, pendant que j’y suis, dans mon prochain, L’Acrobate, il y aura du Gombrowitz, du Dostoïevski.
Tout ça pour dire quoi. Que je comprends bien qu’il est nécessaire de protéger les droits des auteurs, qu’il faut se méfier des imitations et autres singeries. Mais, comme me le disait encore dernièrement l’ami Éric Chevillard : certains emprunts (de Cadiot, de Picasso, de Luc Ferrari, ou de moi), sont tout sauf des pastiches, des parodies, imitations ou singeries, de tel auteur, tel parolier ou tel musicien. Mais sont comme l’élucidation de leurs extraits réanimés, à nouveau opérants, arrachés à la lettre morte des choses trop connues, trop entendues, trop lues, et soudain, là, pour le coup, revivifiées. Formules dont on allait presque oublier qu’elles pouvaient servir encore, et pas seulement dans ces pages illustres que l’on reprend à son compte et à notre manière. Ainsi le nouveau paragraphe ou la nouvelle plage de musique est-elle, en définitive, puissamment originale. Issue d’un créateur très particulier, et de lui seul possible.
Une nuit de juillet, j’étais avec une fille, sur une plage des environs. Si jeune, si vivante, la fille, et on distinguait mal le sable de la mer, la mer du ciel. Elle a ôté son T-shirt, ses bras croisés au-dessus de sa tête emmaillotée, ses seins blancs lumineux comme poudrés, le flux, reflux, venant de la mer, le jean et le slip, en même temps, repoussés jusqu’aux chevilles, piétinés, nue, vue, courant, bondissant dans le noir. Je l’ai prise en photo. J’ai vu le résultat. Ce n’était pas ça. Et puis j’ai vu un vieux film, où, à un moment donné, dans le fond de l’image, tandis que les deux héros au premier plan parlaient, au fond, loin derrière eux, à peine visible, une fille semblait courir sur une plage. J’ai fait un arrêt sur image, viré les héros, isolé la fille, ôté lumière, couleur, rogné par ci, par là, le corps pour le maigrir, et rajouté par là-dessus du flou : c’était exactement ça.
Pour les images comme pour la chose écrite : pour parvenir à restituer au plus juste une vérité de sentiment, il nous faut souvent tricher sur les moyens.

L’année dernière à marée basse Par Jacques Serena
Le Matricule des Anges n°56 , septembre 2004.
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